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DE BLADE RUNNER À BLADE RUNNER 2049

Une oeuvre si actuelle

De Batman v. Superman à Alien : Covenant, la mode à Hollywood est au reboot des vieux classiques de science-fiction. Rares sont les tentatives réussies cependant – les films cités en sont peut-être la meilleure preuve – mais peut-être Blade Runner 2049, sorti début octobre sur les écrans en France, fait-il figure d’ exception. Avec cet opus qui perpétue et prolonge à la fois l’univers du chef-d’oeuvre de Ridley Scott, Denis Villeneuve signe finalement un film qui résonne terriblement avec notre époque, comme le premier résonnait lui-même avec la sienne.

Dans le long-métrage de 1982, par exemple, l’action se déroulait entièrement dans un Los Angeles de cauchemar, misérable, surpeuplé et pluvieux. On pouvait presque y voir une concentration de toutes les angoisses américaines de l’époque : l’immigration asiatique massive après la fin de la guerre du Vietnam, l’explosion des inégalités sous le règne néo-libéral de Ronald Reagan ou la crainte lancinante à partir des années 1970 de la surpopulation et de l’épuisement des ressources. Même la bruine incessante tout au long du film semble rappeler les fameuses « pluies acides », premier signe médiatique (avec le trou de la couche d’ozone et l’effet de serre) d’une nature en plein dérèglement et de la prise de conscience naissante de l’écologie.

Changement climatique

Si le premier film était volontiers claustrophobe et que toute l’action s’y situait dans des espaces volontiers clos et bas, des ruelles aux pieds des gratte-ciels ou un vieil appartement qui tombe en ruines, Denis Villeneuve fait le choix d’ouvrir son regard sur un paysage non moins anxiogène dès les premières minutes de BR49. Une région entièrement recouverte de serres artificielles, comme une vision du sud de l’Espagne ravagée par la culture intensive mais en plus cauchemardesque, l’apparition d’une nature mise en coupe réglée, d’un changement climatique poussé à l’extrême. Car oui, n’en déplaise à Donald Trump, le changement climatique, ça existe. À trente-cinq ans d’écart, d’un Blade Runner à l’autre, la Terre est toujours ce lieu que les hommes, qui ont  en quelque sorte joué aux dieux et perdu, ont brutalement ravagé par leur inconséquence.

De la même façon, comment ne pas voir dans le personnage de Niander Wallace, interprété par Jared Leto, le prototype du gourou façon Silicon Valley aux accents prophétiques, une sorte de Steve Jobs prêt à s’improviser apprenti sorcier, signe du pouvoir démesuré des multinationales ? Le film de Ridley Scott montrait avec Tyrell, le concepteur des replicants, une sorte de patron à l’ancienne, affublé d’énormes lunettes qui lui donnait un air de comptable américain dans un film des années 1950. Sa créature, Roy, un réplicant, son « fils prodigue », finissait par lui arracher les yeux avant de symboliquement « tuer son père ».

Comme s’il était lui-même l’héritier de Tyrell, Wallace, qui conçoit à son tour des réplicants, est aveugle, comme les devins de l’Antiquité. Mais ses prothèses et les caméras volantes directement reliées à son cerveau lui permettent de « voir » partout où il le désire, ce qui fait de lui une sorte de dieu omniscient. Société de la surveillance ? Le scénario lance des pistes mais les développe à peine. La prestation de Jared Leto reste par ailleurs assez hasardeuse et rare (une dizaine de minutes tout au plus peut-être), et donne un goût d’inachevé, qui nous laisse avec la même question sur les lèvres qu’en regardant son jeu dans Suicide Squad : tant de cabotinage pour si peu ?

Retour aux sources

Toujours du côté du jeu des acteurs, là où Harrison Ford dans le Blade Runner de 1982 jouait une partition finalement assez classique de détective de film noir, alcoolique, sombre, crépusculaire, peut-être influencé par les policiers américains de la décennie précédente, Ryan Gosling semble non pas provenir d’un futur lointain mais au contraire être presque notre contemporain. Assis à la table de son petit appartement froid et impersonnel, il semble incarner la solitude extrême du mâle occidental au 21e siècle. La seule chose qui s’approche d’une relation de tendresse pour lui est une relation virtuelle, une intelligence artificielle substitut de femme, comme dans Her, de Spike Jonze.

La rencontre tant attendue entre les deux jeunes premiers, la nouvelle garde Ryan Gosling et Harrison Ford l’icône fatiguée, débute par un affrontement symbolique de génération, une scène de combat dans un casino abandonné avec un Ryan Gosling qui « tend l’autre joue » sous les coups de son aîné. Scène volontiers déroutante : comme Harrison Ford, une autre vieille idole, Elvis, refait surface au même moment, mais en hologramme.

Comme Ridley Scott, dans le premier opus, Denis Villeneuve laisse planer le doute sur la véritable nature de Deckard, le personnage incarné par Harrison Ford : humain ou replicant ? Lorsque Luv, l’exécutrice de basses-oeuvres de Wallace, le capture et qu’il lui demande où elle l’emmène, elle lui répond « Home », comme pour suggérer que c’est dans les locaux de Tyrell qu’il a été conçu. Mais là où le film de Ridley Scott proposait un questionnement sur ce qui faisait notre humanité, assez proche de ceux des penseurs modernes (le nom « Deckard » que porte le personnage principal est censé rappeler celui du philosophe français René Descartes), la version du réalisateur québécois propose un retour aux sources plus conservateur en quelque sorte, du moins dans sa première partie : un mythe biblique, annoncé dès le début du film avec l’évocation d’un « miracle ». Une naissance miraculeuse, un peuple d’esclaves dans l’attente d’un avenir meilleur, comment ne pas voir dans la quête de Ryan Gosling une métaphore de la vie de Jésus ? Signe d’un retour aux sources, d’un « back to basics », qui s’inscrit dans une grande tradition américaine qui consiste à puiser dans les récits bibliques la matière dont on fera les histoires des films de demain.




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