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BRETT MORGEN | Interview

​​Ne lui demandez surtout pas s’il est « fan ». Les morceaux de David Bowie ont bien accompagné Brett Morgen toute sa vie, mais pour le réalisateur étasunien, ce terme « embarrassant » ne rime à rien. Les cheveux mi-longs grisonnants – quelque part entre Nick Cave et Kurt Cobain -, le dandy californien en costume à carreaux, chaussettes rouges bariolées et baskets blanches impec’ revendique « n’avoir jamais acheté de merchandising, ni jamais potassé des bouquins ou des heures de vidéos sur Aladdin Sane ». Non, « le mot fan ne veut rien dire » : le manifeste de Brett Morgen, qui se défend d’avoir réalisé son documentaire « en tant que président du fan-club de David Bowie ». 

D’ailleurs, « l’idée de Moonage Daydream précède même Bowie ». Au départ, il y avait l’envie de faire se raconter un artiste par lui-même. Mais dès que le personnage s’est imposé à lui, le réalisateur s’est jeté à fond dans les archives de Ziggy Stardust. À fond, c’est-à-dire « six jours par semaine, douze ou quatorze heures par jour, pendant deux ans ». Brett Morgen « redécouvre » alors un personnage inspirant, « sans jamais ressentir ni malaise ni vulgarité ». Et commence à écrire son film avec une conviction : « à chaque fois que Bowie a été enregistré, il voulait donner le maximum, vivre pleinement chaque rencontre : un journaliste, une discussion respectueuse… On ne retrouve pas ça chez tous les artistes », raille Morgen. 

Le personnage, pourtant, reste difficile à cerner. Surtout en voulant le raconter par son intériorité. « Dans un documentaire “classique”, quand on a besoin de passer de A à B puis C et que le sujet ne dit pas B, on trouve quelqu’un pour dire B. Là, si Bowie ne disait pas B, j’étais hyper frustré », grince le réalisateur. 

Bowie délivre finalement lui-même la clef de son identité. Trois clefs, en réalité : « le chaos, l’éphémère et la fragmentation ». Bowie en parle tout le temps dans ses interviews. Encore fallait-il trouver une architecture narrative générale. Autre révélation après quelques mois de travail : « son côté éphémère [“transient” en VO, ndlr.], pris au sens large, raconte les thèmes de Bowie, le côté genderfluid, la spiritualité, le voyage… Donc j’ai pris ses personnages, Ziggy pour cette non-binarité, la période Heroes à Berlin pour le voyage… And so on ! » 

Brett Morgen offre donc à Bowie de raconter Bowie ; par un dialogue intérieur côté narration, mais dans une approche « maximaliste » côté cinéma. En effet, Moonage Daydream se présente comme un tonitruant montage de moments de vie. Il faut dire que le metteur en scène voit le Septième art comme le point de départ de son existence. Et se raconte à travers lui : « Avant mes cinq ans, je ne pouvais pas parler, ensuite, jusqu’à mes 16 ans, j’étais en thérapie. Le cinéma, les salles, ce sont mes premiers souvenirs autant qu’un refuge. J’y ai beaucoup apprécié la surcharge sensorielle… C’est ce que je cherche à reproduire. » 

Avec un concept en tête : « l’IMAX Movie Experience ». Comme influences, Brett Morgen cite Godard, Bertolucci et l’ouverture d’Apocalypse Now. Mais aussi… Disneyworld. Et enchaîne sur son envie de « faire des films qui font vibrer les fauteuils ». 

C’est vrai qu’à ce titre, « Montage Daydream » passerait presque pour un concert… ce qui n’arrange pas le metteur en scène. « Ça surprend, mais je déteste les concerts ! Franchement, la foule, tout le monde qui lève les mains en même temps, c’est quasiment fasciste, non ? Et puis on voit que dalle sur scène, on se retrouve tous à regarder un écran. » 

Il y a bien un artiste qui, en live, trouve grâce à ses yeux : Roger Waters. « Sur sa tournée The Pro and Cons of Hitch Hiking [1984-85], il y avait un vrai travail audiovisuel, c’était une expérience. » C’est ainsi que le réalisateur a pensé son film, comme une « expérience sensorielle ». Pas que de la musique, mais aussi des images et des couleurs qui invitent à la réflexion. En IMAX ou en format standard ? « Peu importe, selon vos envies, selon vos habitudes au cinéma. » 

« J’ai fait ce que j’avais à faire autour de la musique. Je ne suis pas que ça. » Montage of Heck (2014), son précédent film, présentait la vie de Kurt Cobain mais Brett Morgen ne veut pas pour autant rester associé au documentaire musical. Et entreprend de passer à autre chose. Cinq ans de voyage intérieur avec Bowie, ça force la réflexion. « J’ai compris que je n’avais pas tout le temps du monde, je vieillis. Et puis, mes documentaires jusqu’ici, ce sont des archives assemblées dans mon studio… Et un retour dans mon lit chaque soir », observe Morgen. Prêt à baisser le volume, lâcher la musique et repartir « en mode cinéma vérité » sur le terrain. 


Interview réalisée par Augustin Pietron pour Le Bleu du Miroir, le 2 septembre 2022

Remerciements : crédits photo portrait – Olivier Vigerie (photographe officiel du Festival de Deauville)