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CANNES 2024 | Jour J : Sur les marches, la colère ?

Un peu plus d’un mois après la révélation de la sélection officielle par Thierry Frémaux et Iris Knobloch, la 77e édition du festival de Cannes est lancée, sur fond de protestations d’un collectif de travailleurs (« Sous les écrans, la dèche ») et de revendications sociétales, pour qu’enfin l’industrie du cinéma français fasse son examen de conscience et prenne des mesures à la hauteur. Un manifeste, publié ce mardi 14 mai par Le Monde et signé par une centaine de personnalités du cinéma, réclame entre autres l’élaboration urgente « d’une loi intégrale qui permettra de clarifier, entre autres, la définition du viol et du consentement, introduire celle de l’inceste, de juger les violeurs en série pour tous les viols connus ». La moindre des choses pour rattraper l’immense retard français en matière de législation et d’accompagner, afin de protéger, défendre et soutenir comme il se doit les victimes de violences sexistes et sexuelles – et pas seulement dans l’industrie du cinéma.

Paroles, paroles, paroles…

Bien qu’il déclare vouloir « un festival sans polémique », Thierry Frémaux a bien conscience qu’il ne pouvait ignorer plus longtemps ce qui se joue ces derniers mois. Car ce vent du changement soufflera aussi sur la Croisette, pour enjoindre un peu plus le monde du cinéma hexagonal à enfin faire son #MeToo. Mais la « prise de conscience » demeure encore timide pour celui qui souhaite une édition « pacifiée et joyeuse » : « Très souvent, une injonction est dirigée vers le festival de Cannes, mais on a l’habitude de ça. Un certain nombre de sujets, on n’en parle pas en janvier, ni en octobre, on en parle au mois de mai parce que c’est le festival de Cannes. Et nous sommes d’accord pour que le festival se fasse l’écho de ces questions importantes. »

Car diffuser le court-métrage « Moi aussi » de Judith Godreche en ouverture d’Un Certain Regard et nommer Greta Gerwig (fraîchement célébrée pour son Barbie assez inoffensif) comme présidente du 77e jury ne suffiront pas à endormir la détermination légitime, quand des hommes influents accusés d’agressions sexuelles tels que Dominique Boutonnat (toujours maintenu à la tête du CNC), Dominique Besnehard ou Alain Sarde ont bénéficié ou bénéficient toujours des soutiens politiques et des silences qui oppressent les victimes. Si la parole se libère (enfin) progressivement, le chemin semble encore bien long et quelques discours de façade ne doivent pas soulager trop rapidement les consciences…

jury Cannes 2024

Meryl Streep à l’honneur

Difficile de penser que Camille Cottin, qui officiera comme maîtresse de cérémonie, ne fasse pas référence à ce mouvement de libération de la parole lors de cette première soirée de gala, qui rendra notamment hommage à Meryl Streep. L’icône hollywoodienne multi-oscarisée se verra remettre une Palme d’honneur, consacrant son immense carrière faite de rôles marquants et de collaborations fructueuses avec les plus grand.e.s cinéastes.

De quoi ouvrir les festivités avant que la compétition pour la Palme d’Or ne soit définitivement lancée dès le mercredi 15 mai, donnant du travail aux juré.e.s accompagnant Greta Gergwig : les comédiennes Eva Green et Lily Gladstone, les cinéastes Hirokazu Kore-eda et Juan Antonio Bayona, les actrices-réalisatrices Nadine Labaki et Ebru Ceylan, et enfin les comédiens Omar Sy et Pierfrancesco Favino.

Meryl Streep Cannes

Jusqu’au 26 mai, les prestigieux votants (et bien sûr les très nombreux festivaliers) pourront découvrir les 22 films inédits retenus, dont certains sont particulièrement attendus. Beaucoup évoqueront Megalopolis, qui pourrait offrir sa troisième palme à son metteur-en-scène, mais on guettera plus particulièrement Bird d’Andrea Arnold, qui mériterait enfin mieux qu’un Prix du jury (elle en a déjà reçu trois !), Kinds of Kindness de Yorgos Lanthimos, Les linceuls de David Cronenberg ou encore The seed of the sacred fig d’un Mohammad Rasoulof contraint de fuir son propre pays qui lui reproche sa « collusion contre la sécurité nationale ».

Anatomie d’une Palme ?

Qui succèdera à Justine Triet et son magistral Anatomie d’une chute ? Les probabilités que ce soit à nouveau une réalisatrice sont aussi réduites que l’an passé puisqu’elles ne sont que quatre cette année : Andrea Arnold donc, mais aussi Coralie Fargeat, Payal Kapadia et Agathe Riedinger, toutes trois retenues pour la première fois en compétition. On reste encore bien loin de la parité. Pour la représentation, il faudra plutôt regarder du côté d’Un Certain Regard – comme d’habitude ?

En attendant, pour ouvrir le bal, c’est à nouveau un film français qui a été choisi cette année, succédant à un film historique de triste mémoire qui avait suscité bien trop d’attentions et d’éloges pour un comédien condamné par la justice pour violences conjugales. Après les perruques poussiéreuses et les ornements de palais, retour à l’humour décalé puisque Quentin Dupieux (comme Michel Hazanavicius et son Coupez) a les honneurs d’ouvrir le bal avec Le deuxième acte, une comédie singulière et meta réunissant Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel et Raphaël Quenard, que le DJ-cinéaste retrouve tout juste un an après Yannick.

Rendez-vous ce soir au Grand Théâtre Lumière (pour les plus chanceux) et sur France 2, à partir de 19h, pour suivre la cérémonie d’ouverture de ce 77e festival de Cannes qui s’annonce assurément riche, mais certainement moins « pacifié et joyeux » que l’espère son directeur général.

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