CANNES 2024 | Sélection de la 77e édition
À l’aube de sa 77e édition, le Festival de Cannes vient de dévoiler la majeure partie des films qui vont concourir pour la prestigieuse Palme d’Or en mai prochain. L’occasion pour ses organisateurs de rappeler la force de frappe et le rayonnement de cette manifestation au sein de l’industrie cinématographique mondiale. Cette année encore, l’équipe de Thierry Frémaux semble avoir fait le choix de l’équilibre entre retour d’auteurs confirmés et mise en avant de talents émergeants ou moins connus du grand public. Force est de constater le parfum d’éclectisme qui se dégage des noms qui composent la compétition officielle.
Commençons par l’évidence avec Megalopolis. Le dernier film de Francis Ford Coppola était sans aucun doute LE sujet autour duquel spéculaient tous les commentateurs et cinéphiles depuis plusieurs semaines. Projet fou, sur lequel le réalisateur du Parrain s’est cassé les dents pendant plusieurs décennies, le film est enfin prêt. On y verra se confronter deux hommes (Adam Driver et Giancarlo Esposito) autour d’un projet de reconstruction d’une métropole ravagée par un cataclysme. Les premiers échos des rares spectateurs ayant découvert le film évoquent ‘’une fable visuelle et épique’’ ainsi qu’une expérience ‘’indescriptible’’. De quoi nourrir l’impatience de découvrir la nouvelle œuvre du légendaire cinéaste, 50 ans après sa première Palme pour Conversation Secrète.
Paul Schrader n’avait plus présenté de film en sélection à Cannes depuis Patty Hearst en 1988. Et si sa filmographie reste composée d’œuvres à la qualité très variable, on ne peut nier un certain retour en grâce du cinéaste ces dernières années, notamment avec les puissants First Reformed et The Card Counter (tous deux présentés au festival de Venise). Les festivaliers pourront découvrir Oh Canada, dernier long-métrage du plus bressionien des réalisateurs américains. En choisissant d’adapter le roman Foregone de Russel Banks, le réalisateur âgé de 77 ans semble mener une réflexion sur son statut d’artiste vieillissant. Le choix de Richard Gere pour interpréter le rôle principal d’un documentariste en fin de vie n’a d’ailleurs rien d’anodin, les deux hommes ayant collaboré pour American Gigolo il y a déjà 44 ans.
Autre vétéran habitué du festival, David Cronenberg viendra présenter Les linceuls (The Shrouds) deux ans seulement après son dernier passage sur la Croisette. Après avoir théorisé sur l’ensemble de son œuvre dans le testamentaire Les crimes du futur, le réalisateur de Crash est-il prêt à explorer de nouveaux territoires thématiques et esthétiques ? Pour le moment, on sait seulement qu’il y retrouvera Vincent Cassel (qu’il a notamment dirigé dans Les promesses de l’ombre) dans la peau d’un homme ayant inventé un système permettant de connecter les vivants à leur proches décédés. Un projet on ne peut plus intriguant, hanté par la mort et le deuil, que Cronenberg a décrit lui-même comme très personnel.
Lors de la conférence de presse, Thierry Frémaux n’a pas hésité à opérer une filiation entre le cinéma de Cronenberg et un autre film de genre de la compétition : The substance. Le ton est donné pour appréhender le deuxième film de la française Coralie Fargeat, même si la comparaison avec le réalisateur canadien parait à ce stade un brin audacieuse. Si rien n’a encore filtré de l’intrigue, on sait néanmoins que la réalisatrice a voulu adopter avec ce film une approche féministe de la body horror. De la même façon que Revenge, son précédent long, explorait le genre du rape and revenge de manière radicale et gore, il y a fort à parier que The Substance ne manque pas de marquer les esprits des festivaliers pour sa violence à priori très graphique.
Yorgos Lanthimos parviendra-t-il cumuler coup sur coup Lion d’Or à Venise, puis Palme d’Or à Cannes ? Quelques mois seulement après avoir triomphé avec Pauvres créatures, le réalisateur iconoclaste revient en compétition avec Kinds of Kindness, accompagné de la fidèle Emma Stone qu’il dirige ici pour la troisième fois. Présenté comme une ‘’fable en tryptique’’, le film s’est dévoilé il y a quelques semaines par un court teaser laissant peu de doute quant à la verve acide du long-métrage. Avec ses travellings froids, sa galerie de personnages déjantés et un titre (à priori) très ironique, nul doute que le cinéaste a encore beaucoup à dire sur la nature humaine et la cruauté dont elle fait trop souvent preuve.
Révélé en 2018 avec Border, lauréat du Grand Prix dans la section Un Certain Regard, Ali Abbasi fait partie des cinéastes très à l’aise avec l’idée d’un cinéma à la frontière des genres, laissant volontairement ses spectateurs dans un sentiment d’étrangeté et d’inconfort. C’était le cas de son dernier passage à Cannes en 2022 avec Les nuits de Mashhad. Ce récit sur la traque d’un tueur de prostitués en Iran bousculait sa narration à mi-parcours pour se placer du point de vue du criminel. Difficile de savoir à l’heure actuelle si l’on retrouvera ce goût du malaise dans The Apprentice, nouveau film du cinéaste, qui suivra le parcours d’un jeune Donald Trump dans les années 70. Si le projet peut prêter à sourire, on peut malgré tout compter sur l’audace du réalisateur danois d’origine iranienne pour porter un regard hautement politique sur son sujet.
Le film qui risque de bousculer les festivaliers de cette édition pourrait bien venir du nord de l’Europe. Coproduction entre la Suède, la Pologne et le Danemark, The girl with the needle reviendra sur la terrible histoire vraie de Dagmar Overbye, tueuse en série ayant tué de nombreux nourrissons dans le Copenhague des années 1910. Un sujet aussi provoquant et âpre ne devrait pas passer inaperçu et saura mettre un coup de projecteur non négligeable sur son jeune réalisateur, Magnus von Horn. Il est intéressant de noter que ce dernier portait déjà un regard glaçant sur la société (en l’occurrence suédoise) dès son premier long métrage, Le lendemain.
Karim Aïnouz était reparti bredouille de la précédente édition du festival de Cannes. Sa relecture historique et féministe de la fin du règne d’Henri VIII manquait sans doute trop d’éclat pour trouver une place au sein d’un palmarès particulièrement riche en propositions marquantes. Cela n’empêchera pas le réalisateur brésilien d’être de nouveau en compétition cette année avec Motel Destino. Sous la chaleur des tropiques, le film explorera les questions de désir, de pouvoir et de violence qui s’exercent au sein d’un motel au nord du Brésil. Les quelques informations récoltées jusqu’à présent évoquent à la fois une histoire d’amour et le portrait d’une jeunesse brésilienne démunie et opprimée qui n’a comme échappatoire que la violence et le crime. De quoi laisser présager un souffle romanesque que l’on espère aussi intense que le magnifique La vie invisible d’Eurídice Gusmão (prix Un Certain Regard en 2019).
En 2018, Gilles Lellouche connaissait un succès critique et public avec Le grand bain sa première réalisation en solo. Cette comédie douce-amère avait pris les festivaliers cannois par surprise lors de sa projection en Hors Compétition. Tous ou presque ont salué sa qualité d’écriture (notamment dans le traitement de ses nombreux personnages) et ses choix de réalisation pour porter son sujet. Cette année, l’acteur-réalisateur aura le droit aux honneurs de la compétition officielle pour L’amour ouf. Projet ultra ambitieux co-écrit avec Audrey Diwan, le film suivra sur plusieurs années le couple François Civil et Adèle Exarchopoulos dans ce qui s’annonce comme ‘’une comédie romantique ultra-violente’’. D’une durée fleuve de trois heures, et arborant le genre si difficile de la comédie musicale, le film ne manque (sur le papier) pas de panache pour se faire une place de choix au sein de la compétition.