CARLO MIRABELLA DAVIS | Interview
Alors que Swallow sort cette semaine sur les écrans français, nous avions rencontré son réalisateur, Carlo Mirabella-Davis à quelques heures de la présentation de son film en compétition au festival de Deauville. L’occasion d’évoquer ses sources d’inspiration de son premier long-métrage, mais aussi la représentation dans l’industrie du cinéma et le « male gaze ».
Quelles influences ont inspiré votre premier long-métrage, Swallow, qui se distingue par son esthétique soignée ?
Carlo Mirabella-Davis : La première influence qui me vienne à l’esprit est Safe de Todd Haynes, mais je pourrais aussi citer Rosemary’s baby et Une femme sous influence. J’aime aussi beaucoup le cinéma de Hitchcock, De Palma, Lynch, Sirk et Cronenberg. Je suis fasciné par ces films psychologiques et le body horror.
Haley Bennett est parfaite pour incarner cette épouse impassible, énigmatique… Comment l’avez-vous choisie ?
Je suis très reconnaissant qu’elle ait décidé de faire le film. Elle a apporté beaucoup à son personnage et au film, devenant même productrice exécutive. Elle s’est donné corps et âme au film, avec beaucoup de précision et d’attention au personnage. Je l’avais vu dans plusieurs rôles secondaires et après avoir lu quelques interviews et l’avoir rencontrée, j’étais convaincu que c’était elle qu’il fallait pour porter le film avec ce mélange de pouvoir et d’étrangeté.
Elle est incroyable car elle contrôle parfaitement les expressions de son visage. Elle peut sourire et avoir un visage radieux tout en ayant cette subtile émotion dans le regard. On voit progressivement le vernis craquer…
Comment vous est venue cette idée de « pica » pour les humains, pathologie que l’on aurait tendance à associer aux chiens ?
C’est bien plus commun qu’on pourrait le croire chez les hommes. Un jour, j’ai vu une photographie de tous les objets qu’avait ingéré un patient. Je me suis demandé : qu’est-ce qui a attiré ces personnes à avaler ces objets là ? De la boue à des objets plus tranchants (une brosse à dents, des piles). Mais le film est, en fait, inspiré de ma grand-mère qui a développé de nombreux syndromes de mal-être et de troubles compulsifs. Je voulais raconter l’histoire d’une femme au foyer oppressée en silence…
On entend de nombreux experts dirent que le féminisme n’est plus nécessaire car le sexisme n’existe plus… Je voulais prouver que ce n’est pas le cas car il y a un retour inquiétant du patriarcat aux Etats-Unis. La présidence de Donald Trump le confirme, avec un retour à l’oppression des femmes comme dans les années 50.
Si tu es un homme blanc, tu dois t’interroger sur les bénéfices que tu tires de cette situation, et te demander ce que tu fais pour combattre le sexisme et le racisme.
Est-ce qu’il y a une responsabilité à évoquer ces sujets féministes lorsqu’on est un homme cinéaste ? Comment avez-vous appréhendé le « male gaze » ?
J’ai été élevé dans une famille de féministes. J’ai appris que le féministe était l’affaire de chacun. J’ai toujours été intéressé par les paradigmes d’oppression. Vers mes 20 ans, j’ai pris conscience des enjeux autour du genre, dans la société, la publicité… J’ai personnellement eu une période où je m’identifiais même comme une femme, je me faisais appeler par un prénom féminin, je portais des vêtements plus féminins. Durant cette période, mon féminisme s’est évidemment consolidé car j’ai beaucoup analysé la façon dont le monde vous voit, perçoit les femmes…
Mais, effectivement, j’étais très concerné par le fait que mon « male gaze » (regard masculin) affecte le film. J’en ai énormément discuté avec mes producteurs et j’ai eu la chance d’avoir de nombreuses collaboratrices artistiques pour réaliser Swallow, dont ma fantastique chef-opératrice Katelin Arizmendi. Selon moi, chaque homme devrait y faire attention. On vit dans une société systémique, sexiste et raciste. Si tu es un homme blanc, tu dois t’interroger sur les bénéfices que tu tires de cette situation d’homme blanc, et te demander ce que tu fais pour combattre ces fléaux.
Et, effectivement, il est important qu’un homme porte et diffuse ces messages à travers son cinéma…
Nous avons la chance d’avoir de plus en plus de réalisatrices, scénaristes et techniciennes qui arrivent dans l’industrie cinématographique. C’est valable également avec les personnes de couleur. On a besoin de leurs voix, de leurs visions. C’est crucial.
Et pourtant, la représentation n’est pas toujours évidente et il reste un sacré chemin à parcourir… Contrairement au festival de Deauville cette année qui est presque paritaire, il suffit de voir que les films sélectionnés à Cannes et Venise sont majoritairement écrits et réalisés par des hommes…
Il reste beaucoup à faire et je le regrette. Il y a beaucoup de sexisme au cœur de l’industrie du cinéma. Il ne faut pas être complice des comportements sexistes et rester vigilant à combattre les préjudices. Il y a cette tendance à dire que tout va bien mais ce n’est pas le cas.
Pour finir, planchez-vous déjà sur un second long-métrage ?
J’ai envie de réaliser un film fantastique avec une super-héroïne. Je suis toujours intéressé par la dimension psychologique et le cinéma de genre. Je suis fasciné par l’étude de personnages. J’aime ce qui est singulier…
Propos recueillis, traduits et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir
Crédits photo : Olivier Vigerie – Festival de Deauville