CÉRÉMONIE SECRÈTE / JUSTE AVANT LA NUIT
Un mois et demi après la disparition de Michel Bouquet à 96 ans, le dernier film de cet immense comédien sort, précédé dans un double programme complété par un documentaire. Ces deux films reprennent les titres d’oeuvres déjà existantes. Le documentaire s’intitule Juste avant la nuit, tout comme l’un des meilleurs films de Claude Chabrol dans lequel Michel Bouquet jouait un homme qui tuait sa maîtresse et se retrouvait submergé par une culpabilité et une nuit morale et spirituelle, effrayante et indicible. L’oeuvre de fiction qui suit ce documentaire assez court – 35 minutes – a pour titre Cérémonie secrète, comme la réalisation de Joseph Losey qui réunissait Elizabeth Taylor, Mia Farrow et Robert Mitchum. Si le film de Losey ne comportait pas la présence de Michel Bouquet et si ce nouveau film homonyme de Tatiana Becquet-Genel s’avère très différent par certains points, il a néanmoins en commun une vision des rapports sociaux très sombre, des aspects très étranges, oniriques voire fantastiques. Michel Bouquet y fait plus des apparitions assez brèves, mais marquantes par la vivacité étonnante dont cet homme a fait preuve jusqu’à la fin de sa carrière. Carrière riche et exemplaire, tant par le choix de ses collaborations que par l’extrême rigueur et humilité qui furent une constante chez ce comédien dont on ne saura jamais – ou alors seulement dans quelques décennies – s’il est encore possible de lui trouver, sinon un successeur, du moins un héritier spirituel.
Juste avant la nuit de Jean-Pierre Larcher
Michel Bouquet avait affirmé lors de l’un de ses cours donnés au Conservatoire d’Art Dramatique que le métier de comédien était un métier de valet. Au service de l’auteur, au service du texte. La grandeur de Michel Bouquet venait de son talent, mais aussi de son humilité, non feinte, de son abnégation de grand serviteur du théâtre et de l’art du comédien. Dans ce documentaire, il est même question, selon le comédien, de sacrifice et de la beauté de ce geste. Et de sa nécessité – « On ne peut pas faire autrement » – et de l’impossibilité d’avoir une vie normale quand on choisit le théâtre et l’art du comédien non pas pour sa propre gloire mais pour servir et donner. Jamais ne sont occultés la difficulté et le labeur que cela implique : « La vie d’acteur est une vie en trompe l’œil », « Une vie difficile, une vie de travail ».
Le film de Jean-Pierre Larcher fait appel à des visions oniriques, parfois spectaculaires. L’ouverture du documentaire se fait sur une fenêtre ouverte et pourrait faire penser à un tableau. On découvre l’intérieur d’une maison. Des chaises sont renversées, un portrait de l’acteur est contenu dans un cadre dont le verre est brisé. On voit Michel Bouquet lire des textes, comme s’il les redécouvrait, des textes maintes fois lus et travaillés, Ionesco, Camus… On voit l’acteur ému en évoquant l’auteur de Caligula et des Possédés. La musique se fait parfois inquiétante. La curiosité et l’appétit insatiables pour les textes, le théâtre et très certainement aussi les rencontres, étaient incroyables chez cet homme nullement blasé malgré l’expérience et le grand âge. Ce documentaire, très émouvant nous permet de retrouver des images inédites de ce comédien d’exception qui évoque le théâtre, les grands textes mais aussi la vie, la condition humaine et la vie de l’esprit.
Cérémonie secrète de Tatiana Becquet-Genel
Dans Cérémonie secrète, Rachel jeune avocate trentenaire, qui a grandi dans un milieu privilégié uniquement parce qu’elle a été adoptée, va être amenée à défendre une femme accusée de meurtre. Cette femme, Anna, est d’une classe sociale défavorisée. Rachel subit les foudres de sa mère adoptive. Peut-on réellement s’affranchir du lieu dans lequel on a été élevé ? Peut-on abolir les frontières sociales, culturelles ? Et Anna, que Rachel défend parce que selon elle il faut aider ceux qui sont dans la détresse, qu’en pense-t-elle vraiment ? Est-elle touché par le geste de son avocate ou la manipule-t-elle et la méprise-t-elle ?
La beauté des lieux et de la mise en scène contraste avec la violence morale de certains des personnages, emplis de morgue et de mépris pour plus fragiles qu’eux. Cérémonie secrète est traversé par des images oniriques, énigmatiques.
On conseillera donc l’ensemble de ce programme, le film de Tatiana Becquet-Genel s’avérant réussi techniquement et artistiquement, bien interprété et original. Quant au documentaire de Jean-Pierre Larcher, il offre des moments émouvants, riches en réflexion et peut être recommandé aussi bien aux amateurs de théâtre et de cinéma qu’aux apprentis comédiens qui pourront mesurer ce que cette vocation et cet art impliquent de travail, de passion mais aussi d’oubli de soi. Un témoignage précieux sur un homme à l’intégrité et à la passion hors du commun.
