CHAMPS-ELYSEES FILM FESTIVAL 2016
Chroniques du CEFF 2016
Comme l’an passé, Le Bleu du Miroir couvre le Champs-Elysées Film Festival, festival de cinéma franco-américain, dont la 5ème édition se déroule du 7 au 14 juin 2016. Nos rédacteurs vous font part de leurs impressions sur les films présentés sur la plus belle avenue du monde.
Morris, un adolescent américain fou de hip-hop, déménage avec son père à Heidelberg, en Allemagne. Dans ce pays qui lui est étranger, il tombe amoureux d’une fille du coin, trahit son tuteur et confident allemand, et tente de naviguer au travers des épreuves et des tribulations propres à l’adolescence.
Le réalisateur Chad Hartigan souhaitait faire un film synthétisant ses racines américaines et son intérêt pour l’Europe où il a également vécu. Si la balance penche légèrement vers les USA, le choc des cultures entre le hip-hop du Bronx et la techno minimale allemande est peu à peu dépassé pour parvenir à une force dramatique plus classique mais universelle, celle de la mélancolie de la préadolescence. Le film est réjouissant et reflète la générosité de son auteur, qui réussit à marier la délicatesse du rap (« I’m fucking all the bitches, two at a time ») avec les larmes versées par ses personnages (et les nôtres). On se souviendra des vitraux et des sculptures médiévales bavaroises qui, à l’unisson avec tous les gens présents dans le musée, balancent la tête au rythme des beats dans une vision idyllique de cultures qui se rencontrent et qui s’unissent. – F. L.
MORRIS FROM AMERICA – Etats-Unis – Compétition. Réalisé par : Chad Hartigan. Avec : Markees Christmas, Craig Robinson, Carla Juri… Durée : 89 minutes.
Cette douce fable à propos de la montée de l’autoritarisme au XXe siècle, raconte l’histoire d’un jeune homme vivant en France en 1918 dont le père travaille, pour le gouvernement Woodrow Wilson, sur la rédaction du traité de Versailles. Ce dont il sera témoin forgera ses croyances, et il sera témoin de la naissance d’un ego terrifiant.
« Le film peut être très bruyant par moment. Vous avez le droit de vous boucher les oreilles, je ne m’offenserai pas. » Voilà comment Brady Corbet a présenté son film avant sa première projection française. L’ouverture est en effet tonitruante, symphonique, grinçante, mêlant images d’archives militaires du XXème siècle et celles d’un petit garçon androgyne déguisé en ange, qui lance dans la nuit des cailloux sur des prêtres. Pourquoi ? Voilà la première question soulevée par la lumière sombre dans les yeux de l’enfant. Quelle est l’origine du mal ? Avec une application formelle glaçante, Brady Corbet explore un début de XXème siècle pétri de religion dont l’apparente élégance cache de bien sombres racines. – F. L.
THE CHILDHOOD OF A LEADER – France, Grande-Bretagne – Inédit. Réalisé par : Brady Corbet. Avec : Robert Pattinson, Tim Roth, Bérénice Bejo… Durée : 116 minutes.
« Salut, petit idiot. Je t’aimerai toujours ». C’est sur ces mots que commence « Heart of a Dog », le voyage cinématographique de Laurie Anderson à travers l’amour, la mort et le langage. Prenant pour point central Lolabelle, le Rat Terrier adoré d’Anderson qui est mort en 2011, « Heart of a Dog » est un essai personnel qui entremêle souvenirs d’enfance, journaux intimes filmés, rêveries philosophiques sur la collecte des données, l’ère de la surveillance et la conception bouddhique de l’au-delà, et hommages sincères aux artistes, écrivains, musiciens et penseurs qui l’inspirent.
À mi-chemin entre le documentaire et l’essai expérimental, Heart of A Dog marque la première tentative cinématographique de l’artiste contemporaine – et accessoirement veuve de Lou Reed – Laurie Anderson. Entrelaçant la disparition de sa mère, le décès de son chien et une réflexion philosophique sur l’existence, cet étrange objet filmique perd instantanément pied dans une narration semblable à un patchwork sans cohérence. Volontiers abscons et redondant, il doit, en sus, s’encombrer d’une mise en scène illustrative, (trop) riche en afféteries pour susciter un quelconque intérêt ou enthousiasme chez le spectateur. Au contraire, sa spiritualité de pacotille et son égocentrisme forcené (le long-métrage paraît avoir été créé pour soulager les atermoiements de sa réalisatrice) finissent par provoquer tristement une indifférence absolue. – C. B.
HEART OF A DOG – Etats-Unis – Inédit. Réalisé par : Laurie Anderson. Durée : 75 minutes.
Après avoir été accusé à tort d’avoir volé son ancien patron, un gangster iranien aux problèmes de cœur doit retrouver de la drogue volée. Ce rêve néo-noir effréné nous plonge dans la pègre perse et russe d’un Los Angeles étrange et souterrain, où l’obscénité règne en maître.
Voguant sur les eaux mouvementées du thriller noir jais, Daniel Grove aurait aisément pu faire couler son navire à pic avec The Loner, premier film ultra-référencé mixant les univers hypnotiques de David Lynch et Nicolas Winding Refn. Pourtant, loin de s’écrouler complètement sous le poids de ses modèles, le réalisateur compose une honorable carte de visite qui, sans éviter les clichés inhérents au genre, révèle un metteur en scène investi et méticuleux. Fort d’une bande originale entêtante et d’un acteur principal, Reza Sixo Safai, remarquable, The Loner fait oublier les entournures d’un scénario trop écrit et attendu grâce à un pouvoir de fascination très intrigant. À suivre. – C. B.
THE LONER – Etats-Unis – Compétition. Réalisé par : Daniel Grove. Avec : Reza Sixo Safai, Helena Mattson, Parviz Sayyad Durée : 100 minutes.
Fraîchement arrivée à New York pour commencer ses études, Leah, affamée de découvertes, savoure frénétiquement cette nouvelle liberté, tombe amoureuse d’un garçon et se voit prise dans une spirale sans fin.
Film-symptôme d’un cinéma indépendant américain en passe de se cannibaliser, White Girl représente ses pires travers, sa plus terrible tendance à la vacuité et au ressassement. En tout juste 88 minutes, Elizabeth Wood compulse ainsi tous les clichés d’une sempiternelle jeunesse perdue, mélangeant allègrement le sexe et la drogue tandis que son exil devient une quête effrénée de sensations. Sur ce fil ténu, elle tricote surtout une énième histoire d’amour impossible entre un faux-bad boy au cœur tendre et une adolescente écervelée qui nous horripile au lieu de nous émouvoir. D’une prévisibilité effarante, le film s’impose, dès lors, comme un échec cuisant sur tous les plans, écrasé sous une réalisation passe-partout, des acteurs à côté de la plaque (Morgan Saylor – l’insupportable Dana dans Homeland – confirme, d’ailleurs, son incapacité à jouer la comédie) et un sens de la dramaturgie proche du néant. – C. B.
WHITE GIRL – Etats-Unis – Compétition. Réalisé par : Elizabeth Wood. Avec : Morgan Saylor, Brian Marc, Justin Bartha… Durée : 88 minutes.
L’actrice Kate Lyn SHEIL est choisie pour jouer le rôle de Christine CHUBBUCK, une présentatrice de télévision qui s’est suicidée à l’antenne en 1974. Pour préparer son rôle, Kate se rend à Sarasota pour enquêter sur les zones d’ombre de la mort tragique de Christine.
Principalement connu pour son travail de monteur chez Alex Ross Perry (Listen Up Philip, Queen Of Earth), Robert Greene signe une première réalisation singulière avec Kate Plays Christine, documentaire coup de poing sur un fait divers oublié, le suicide en direct à la télévision d’une jeune journaliste. Aussi intrigant qu’inquiétant sur le papier, un tel sujet s’affirme rapidement comme un dangereux jeu de roulette russe où la frontière entre le sensationnalisme et le refus d’obstacle s’affine à mesure que le film se déroule. Trouvant miraculeusement le juste équilibre, le cinéaste a l’intelligence de mêler réalité et fiction pour traiter de thématiques complexes, souvent reléguées au placard par frilosité (le suicide, la dépression, le voyeurisme …). Kate Plays Christine devient alors une proposition passionnante, un film-meta capable de reconstruire la personnalité d’une femme méconnue et d’observer sa réincarnation chez une actrice bientôt bouleversée par son personnage. – C. B.
KATE PLAYS CHRISTINE – Etats-Unis – Compétition. Réalisé par : Robert Greene. Avec : Kate Lyn Sheil, Stephanie Coatney, Marty Stonerock… Durée : 112 minutes.