200 MÈTRES
Mustafa d’un côté, Salwa et les enfants de l’autre, une famille vit séparée de chaque côté du Mur israélien à seulement 200 mètres de distance. Ils résistent au quotidien avec toute la ruse et la tendresse nécessaires pour « vivre » comme tout le monde, quand un incident grave vient bouleverser cet équilibre éphémère. Pour retrouver son fils blessé de l’autre côté, le père se lance dans une odyssée à travers les checkpoints, passager d’un minibus clandestin où les destins de chacun se heurtent aux entraves les plus absurdes.
CRITIQUE DU FILM
Pour tous ceux qui en ont fait l’expérience, ressentir le poids de la distance englobe souvent bien davantage que le sentiment d’être loin. Écartés de nos repères, séparés de nos proches, les chemins qui nous conduisent alors à retrouver ce(ux) qui nous manque(nt) deviennent inévitablement des parcours internes, où l’on est irrémédiablement amené à questionner ce qui nous importe véritablement.
Couronné de plusieurs prix, dont celui du Public des Venice Days de la Mostra, 200 mètres raconte cette importance à travers les yeux d’un père palestinien dont le quotidien familial s’organise autour de la barrière de séparation israélienne, érigée le long de la ligne verte au cours de la seconde Intifada. Ce mur, qui ne le sépare des siens que d’un périmètre a priori infime, et qui donne son nom au film, se révèlera progressivement comme l’obstacle ultime à franchir le jour où son fils est victime d’un accident – de l’autre côté.
Tourné en seulement vingt-deux jours, entre le drame social et le road movie, la caméra d’Ameen Nayfeh capte avec finesse et authenticité une véritable épopée à travers les checkpoints.
MON FILS, MA BATAILLE
“L’odyssée d’un père au-delà des frontières”. Tel est le sous-titre donné au film, qui s’illustre d’abord par la performance solaire d’Ali Suliman. Dès les premiers plans, d’une simplicité qui rappelle les caméras documentaires, le spectateur ne peut faire autrement que s’attacher à ce père qui semble vivre exclusivement pour le bonheur des siens, et ce malgré son refus de demander la nationalité israélienne – qui lui permettrait de vivre pleinement de l’autre côté de ce mur qu’il va, dans un second temps, tenter par tout moyen de dépasser.
Incarnation de la détermination à surmonter tous les obstacles par amour pour sa famille, le personnage de Mustafa est d’une rare élégance. Loin de la facilité qui consisterait à verser dans un registre trop mélodramatique, cette figure paternelle se mue, tout au long du voyage, en véritable voix de sagesse alors que pour rejoindre son enfant, et faute de papiers d’identité ou de permis de travail valide, il doit emprunter la voie clandestine des passeurs. Au milieu des autres passagers, exubérants, insouciants ou virulents, il puise dans la nécessité d’arriver au bout du voyage coûte que coûte la force de calmer, instruire et raisonner.
DEUX CENT (M)ETRES
“Les images du Mur, des checkpoints ou des soldats sont probablement ce qui surgit en premier lorsque l’on parle de la Palestine”. Avec son film, ce n’est pas seulement un parcours fictif qu’Ameen Nayfeh chronique, mais une ambiance générale : celle de l’extraordinaire ordinaire de nombreux de ses compatriotes. Les trajectoires de chacun des passagers du minibus sont autant de morceaux de vies réelles qui, mis bout à bout, rendent compte de leur difficulté à accomplir des tâches qui peuvent sembler banales comme se rendre à un mariage, ou tout simplement communiquer – ce qu’illustre avec une tendresse infinie le “rituel du soir” mis en place entre Mustafa et ses enfants pour se souhaiter bonne nuit.
Empruntant à plusieurs registres, sans jamais occulter son contexte politique d’une sensibilité extrême, 200 mètres réussit à narrer avec grande subtilité plusieurs histoires en une : celle de l’absurdité d’existences coupées en deux, de liens tissés dans l’adversité et surtout, de l’importance des petites victoires pour la surmonter.
Bande-annonce
9 juin 2021 – De Ameen Nayfeh, avec Ali Suliman, Anna Unterberger