3 BILLBOARDS
A Ebbing, petite ville du Missouri, Mildred Hayes (Frances McDormand) décide de ne plus cacher sa colère face au meurtre et au viol de sa fille, il y a maintenant 2 ans. Elle achète 3 panneaux publicitaires en entrée de ville qu’elle fait recouvrir d’une accusation directe au commissaire de police. L’affaire fait grand bruit dans une bourgade où tout le monde se connaît et où la corruption n’est jamais loin…<
Soyons tendres envers la haine.
Atrabilaire auto-proclamé sur ses deux premiers films, Martin McDonagh y a essayé de toutes ses forces d’y dépeindre sentiments humains et dramaturgie en soulignant tous leurs aspects factices et ridicules. Le grand détournement, c’est peut être ce qui définit mieux l’Anglais, homme de théâtre devenu cinéaste. D’un buddy movie noir, Bons baisers de Bruges diverge vers le drame de l’absence totale d’empathie. D’un thriller comique, 7 Psychopathes diverge vers une réflexion méta autour du destin et des notions de choix et de causalité.
Au cœur des films de McDonagh, il y a finalement peu de place pour la fiction. Ou plutôt, la fiction n’est qu’un prétexte pour une petite leçon de vie de la part de son auteur. Libre à chacun d’y accorder crédit ou non. En misanthrope convaincu, elles sont souvent noires, tragi-comiques et ne débouchent que sur de la vanité essentielle. Martin McDonagh a longtemps été très haineux envers la tendresse. Comme tous les vrais misanthropes, ceux de talent en fait, il ne peut toutefois se résoudre totalement à son mépris. C’est ainsi que 3 Billboards : les Panneaux de la Vengeance, dans un grand effort de son auteur, se révèle tout particulièrement tendre avec la haine.
Le monde se divise en deux catégories
McDonagh ne se laisse pas vraiment le choix de la légèreté avec 3 Billboards. On ne traite pas ici de coupables qui méritent leur sentence, ni d’idiots du village inconscients. C’est l’innocence même qui est frappée lorsque la fille de Mildred est tuée puis violée dans la petite ville d’Ebbing, Missouri. Une ville frappée de l’effet tunnel des grandes voies alentours : une ville au ralenti dans un monde en hyper-vitesse. Un peu hors du temps, ses petites routes de campagne, sa grand-rue poussiéreuse et ses conflits de vis-à-vis qui se règlent à coups de duels au milieu de la rue en donnent des airs de western parodique.
Ce petit monde se divise en deux catégories. La vieille génération qui se définit par sa fonction professionnelle et sociale : le shérif Bill Willoughby (Woody Harrelson) et ses adjuvants idiots, racistes et crasseux, dont Jason Dixon en est le plus fier représentant (Sam Rockwell). Mais aussi la foule qui ne dit mot et donc acquiesce en silence, attendant qu’un crieur public dicte la ligne de conduite légitimée non par la justice ou l’éthique, mais parce qu’elle a été criée plus haut, plus fort et plus longtemps. Face à elle, une nouvelle génération débarrassée des vieux idéaux mais désorientée, sans boussole, symbolisée par Red (Caleb Landry Jones) ou, plus encore, dans l’image du fils sans (re)père, Robbie Hayes (Lucas Hedges).
Du refus de l’absolu
Entre ces deux mondes, le lien se fait dans la douleur. Pour le coup, le titre VF “Les Panneaux de la Vengeance” ne fait pas office de fausse publicité : Frances McDormand, impériale, eusse-t-on encore besoin de le préciser, personnifie la vengeance. Elle, la victime désignée décide de braver l’interdit : refuser son destin de mère éplorée. En se débarrassant de cette figure d’une malsaine banalité et usée jusqu’à l’os, elle s’enflamme d’une double furie : combattre les bêtes sauvages, les meurtriers impunis de sa fille, mais aussi combattre le silence et la soumission aux injustices, ces tyrans de l’invisible.
Voilà pour la fresque personnelle de Mildred, qui viendra évidemment donner corps au récit général de McDonagh et diriger le fil rouge moral de 3 Billboards. Mais s’en contenter, s’y simplifier, ce serait passer à côté d’un autre message porté par le réalisateur-scénariste. Peut-on vraiment dépeindre Mildred en Nemesis, en déesse de la vengeance totale, symbole de rétribution, entre autres grandes envolées lyriques ? Ce serait mal connaître Martin McDonagh. S’il y a une chose que l’Anglais déteste par dessus-tout, c’est bien l’absolu.
À Ebbing, chacun possède ses démons, ses fractures refoulées, ses vengeances à accomplir. Petit à petit, chaque figure de l’intrigue gagne en épaisseur, en profondeur. En proposant que chaque individu est à la fois acteur et victime de la violence du monde, Martin McDonagh tisse l’effroyable toile du chaos de la vengeance. Choisir la destruction, c’est choisir l’auto-destruction, et inversement : une nouvelle fois dans sa filmographie, il n’existe pas d’échappatoire à la causalité. Elle devient la seule constante de l’univers en s’incarnant au passage par la violence aveugle. Mieux, cette violence devient une clef, rouillée et tordue certes, mais bien un outil nécessaire à la compréhension de l’autre. Une proposition à la fois terrible et optimiste. De la tendresse envers la haine, vous dit-on.
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