7H58 CE SAMEDI-LÀ
Ce samedi matin-là, dans la banlieue de New York, tout semble normal dans la vie des Hanson. Alors que Charles, le père, passe un test de conduite, sa femme Nanette ouvre la bijouterie familiale. Leur fils aîné, Andy, s’inquiète pour le contrôle fiscal qui débute lundi. Et comme d’habitude, Hank, son frère cadet, se noie dans ses problèmes d’argent. Mais à 7h58, ce samedi-là, tout va basculer dans la vie des Hanson.
CRITIQUE DU FILM
L’amoureux du cinéma, quel qu’il soit (cinéaste, scénariste, simple cinéphile), aura lu au moins une fois dans sa vie le Faire un film de Sidney Lumet, indispensable vadémécum sorti en France en 2016, soit neuf ans après le dernier film du cinéaste, ce merveilleux 7h58 ce samedi-là, projeté cette année au Festival Lumière dans le cadre d’un hommage bienvenu au cinéaste.
Lumet y décrit précisément sa manière de faire du cinéma, étape par étape, dévoilant une méthode à laquelle il s’est tenu jusqu’au bout. Deux semaines de répétitions ont donc été nécessaires pour ce film comme pour tous les précédents, étape indispensable pour caler les scènes et laisser le temps aux acteurs de s’approprier leur personnage.
Voir 7h58 ce matin-là, dont le titre anglais Before the Devil Knows You’re Dead est tiré d’un dicton irlandais, est une expérience à la fois traumatisante et satisfaisante. Sidney Lumet et son scénariste Kelly Masterson (qui selon la légende aurait envoyé son scénario au réalisateur par la poste) ont construit une tragédie familiale shakespearienne des temps modernes. Deux frères décident de braquer la bijouterie de leurs parents et bien entendu ça tourne mal. Le film déroule la préparation, l’action du crime et ses répercussions mais choisit de le faire dans le désordre, par un procédé de flash-back répétitifs et en adoptant de multiples points de vue de chaque scène.
En grand directeur d’acteur, Lumet sait tirer de ses acteurs le meilleur d’eux-mêmes. Dans le rôle du grand frère à l’origine du méfait, Philip Seymour Hoffman livre ici une de ses plus grandes performances, un homme dont la vie se dérobe sous ses pieds et qui trouve un soulagement éphémère dans la drogue (une scène fait d’ailleurs cruellement écho à la propre mort de l’acteur par overdose de produits divers en 2014 à l’âge de 46 ans). Ethan Hawke, dans le rôle du jeune frère, est bouleversant, de même que Marisa Tomei. Quant au grand Albert Finney, qui avait déjà endossé pour Lumet le rôle d’Hercule Poirot en 1974 (Le Crime de l’Orient-Express), il s’avère ici à la hauteur de son talent dans le rôle du père bafoué et humilié par ses propres enfants. Comme le cinéaste le décrit dans son livre, chaque élément de la mise en scène est important et doit être soigné. De la direction de la photo à la musique du grand Carter Burwell, excellente comme à l’accoutumée, chacun s’insère dans un ensemble harmonieux pour aboutir au final à une grande réussite.
Dire que Sidney Lumet ne s’en sort pas trop mal est une litote. Il fait preuve ici d’une maîtrise incroyable du récit et du montage. Âgé de 83 ans, il ne laisse paraître aucun signe d’essoufflement, bien au contraire. Le film avant « comme un train dans la nuit » et ne nous laisse aucun répit. C’est comme s’il avait décidé de tout donner pour son dernier tour de piste. On sort du film sous le coup de l’émotion tout en ayant savouré la manière dont l’histoire nous a été racontée. Fond et forme ne font qu’un.
Quoique tardive, la reconnaissance du Festival Lumière est bienvenue, et permet de rendre hommage à un des plus grands cinéastes américains du XXe siècle.