A SCENE AT THE SEA
Un jeune éboueur sourd-muet se prend d’une passion obsessionnelle pour le surf. Soutenu par le regard protecteur de sa fiancée, sourde-muette comme lui, le jeune homme progresse, d’apprentissages éprouvants en compétitions harassantes, jusqu’a ce que la mer les sépare.
Critique du film
Lorsqu’on évoque un film, on n’évoque finalement assez peu la bande-originale d’un film. Si l’on mentionne bien souvent le compositeur, notamment depuis la notoriété de certains, il paraît inconcevable d’oublier la partie musicale d’un long métrage. Très souvent, on met l’accent sur l’accord entre partie sonore et visuelle, mais on ne décortique jamais réellement la musique en elle-même, sûrement pour la simple et bonne raison que si l’on peut décrire une image provenant d’un film, il est bien plus ardu de décrire une musique.
Pourtant rarement une partition musicale n’aura aussi bien décrit un film que celle composée par Joe Hisaishi (qu’on connaît surtout pour son travail chez Miyazaki). Le thème principal de A scene at the sea baptisé « Silent Love » semble expliciter à lui tout seul ce qui fait du long-métrage une œuvre si poétique. Cet amour dit « silencieux » est un point d’honneur que Kitano s’est engagé à respecter tout au long de son métrage. Dans A scene at the Sea, on suit Shigeru (Claude Maki), un jeune sourd muet, jusqu’alors, éboueur se découvrant une passion pour le surf. Il est accompagné de Takako (Hiroko Oshima, dont c’est le seul rôle), sourde également. Tous les deux vont s’unir autour de la passion de Shigeru pour inventer la leur, mais pas sans sacrifices.
A scene at the sea dénote étonnamment dans la filmographie de Takeshi Kitano, très imprégnée des milieux urbains hantés par des personnages désabusés ou proches du désespoir avec ses deux premiers longs-métrages (Violent Cop et Juggatsu). Il se met également en retrait dans ce film-ci, chose qu’il n’a pas souvent expérimenté, ayant lui-même été plus acteur que réalisateur. Dur de ne pas voir en ce geste une volonté plus sincère, celle de raconter une histoire sans vedette, au sein duquel il ne serait pas question de capitaliser sur un ressort comique si cher au réalisateur ni sur des dialogues acerbes ou une violence très graphique faisant souvent son sel.
A scene at the sea prend le parti du silence. Tout se passe par le biais d’une image en totale corrélation avec cette bande-son rappelant à plus d’un titre la pureté de l’eau aussi bien que la pureté de l’amour, du dévouement. Peu de mots sont prononcés lors des 101 minutes composant le film, la plupart n’étant même pas fondamentalement importants. Ce qui importe, ce sont ces moments de flottement durant lesquels Takako et Shigeru restent assis, face à un océan venant s’écraser sur une plage grise, sous un ciel tout aussi terne. Car c’est là ce qui impressionne le plus avec A scene at the sea, d’un point de vue visuel : le film ne cherche jamais le « beau » facile, l’esthétisation idyllique ; la plage habituelle du couple n’est qu’un amas de sable noir bordant une mer monochrome, pauvre en reflets et en nuances. Le bord du littoral est quant à lui bétonné, s’enfermant aussi dans un gris brutal, avec parfois quelques cheminées d’usine venant rappeler que cette enclave, servant d’échappatoire à Takako et Shigeru, est réellement unique. Cette insistance sur ces éléments pas toujours grandioses ou admirables renforce le lien clef du long-métrage. Le peu de variation de couleurs ne se trouvera que sur la planche de surf de Shigeru, sur les vêtements de Takako ou sur les combinaisons des quelques planchistes bravant eux aussi l’océan, venant ainsi souligner que ce sont les instants où ils s’unissent que le couple vit vraiment, tout autre moment semblant être une perte de temps.
Pourtant, ce qui paraît être une romance transmise par le biais d’une poésie silencieuse se transforme en un destin étonnamment tragique. Si l’on peut d’abord croire Takako complètement obnubilé par la passion de Shigeru, on se rend compte alors que c’est elle, l’incarnation de cet amour constant planant autour de chacune de ces heures passées sur la plage. Elle est celle qui croit en lui mais surtout qui croit en eux, qui pense que leur relation est un acte qui mérite dévotion, quand bien même cela lui coûterait du temps et de l’affection. L’apprentissage de Shigeru vis à vis de sa passion naissante creuse petit à petit un océan dans cette union ambiguë, l’amenant progressivement vers une vague de bouleversements, destin fatal pour quiconque se retrouvant coincé dans le terrible rouleau de l’obsession. À mesure que le protagoniste gagne en confiance sur sa planche autrefois brisée, c’est sa relation avec Takako qui se fissure. Il ne peut se résigner à choisir entre les perspectives de l’horizon et celle l’admirant depuis la rive.
Ces moments au bord de l’eau n’auront bientôt plus jamais la même saveur. Si Shigeru s’est découvert une nouvelle passion, il s’est aussi rendu compte que sa vie loin des vagues était aussi fade que le ciment sans âme qu’il foule chaque matin pour ramasser les déchets de ses confrères humains. Takako ne pourra jamais le retenir, elle en est physiquement incapable. C’est donc dans l’absence de son que s’est formée cette singulière relation, et c’est également sans le moindre bruit qu’elle sombrera, sur une toile musicale entre échos synthétiques et vocalises cristallines, la mer reprend la scène et celui qui s’en pensait devenir maître, pour ne laisser sur la plage que le résidu d’un souvenir. Un souvenir que Shigeru gardera à jamais comme étant le jour où l’océan a brisé son mutisme.