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À SON IMAGE

Fragments de la vie d’Antonia, jeune photographe de Corse-Matin à Ajaccio. Son engagement, ses amis, ses amours se mélangent aux grands événements de l’histoire politique de l’île, des années 1980 à l’aube du XXIe siècle. C’est la fresque d’une génération.

Critique du film

« État français assassin ! » Verre de blanc à la main, Antonia danse entre deux insultes au gouvernement. À côté d’elle, Pascal, militant nationaliste corse dont elle tombe follement amoureuse. Quelques minutes avant, en ouverture de son film, Thierry De Peretti mettait en scène la mort de sa protagoniste. Un accident de la route filmé de loin, annonçant la présence fantomatique de son personnage féminin dans un triste décor masculiniste. De nombreux proches assistent à l’enterrement, et l’un d’eux décide de raconter l’histoire d’Antonia. Une histoire pleine de vitalité que désarçonne le ton mélancolique voulu par sa mort annoncée. À travers le portrait de la jeune photographe, le cinéaste dresse une large fresque des mouvements militants qui ont frappé la Corse depuis la montée du FLNC dans les années 1980. De Peretti déploie son récit sur plusieurs dizaines d’années sans marqueur temporel trop appuyé, capturant avec puissance le temps qui passe, adversaire implacable d’une jeunesse éphémère.

Le réalisateur adapte le dernier roman éponyme de Jérémy Ferrari et l’inscrit dans une continuité logique de sa filmographie : après une plongée abrupte dans l’indépendantisme corse avec Une vie violente, De Peretti passe du côté féminin du spectre et explore ces mouvements de loin, à mi-chemin entre critique, spectateur et activiste. Comme sa protagoniste, le cinéaste se place à la distance idéale pour explorer les nuances de la vie militante dans son intégralité. Antonia est entraînée malgré elle dans une lutte désespérément patriarcale, et se réfugie dans la photographie pour capturer l’innocence de ses amis avant qu’il ne soit trop tard. Si son travail de reporter à Corse-Matin l’oblige à participer à des conférences de presse devant des hommes armés et cagoulés qu’elle connaît bien, son attachement à ces derniers la pousse à immortaliser leurs rares moments de candeur.

Antonia est une rebelle indécelable, que De Peretti s’efforce à mettre en scène dans des dialogues d’une fluidité déconcertante. Le cinéaste corse se met à moyenne — voire longue — distance et pose sa caméra, laissant ses acteurs faire le reste. Aucune coupure ou contrechamp ne vient interrompre cette instantanéité remarquable, humanisant sa protagoniste et ses interlocuteurs pour mieux les ancrer dans la violence de leur combat voué à leur arracher prématurément la vie. L’horreur est d’autant plus frappante lorsqu’elle intervient sans dire mot, que ce soit lors d’un reportage photo du début de la guerre d’ex-Yougoslavie ou au retour d’Antonia en Corse.

Thierry De Peretti ne sensationnalise jamais la lutte mais la montre sous tous ses aspects, de sa violence la plus crasse aux revendications nécessaires d’une génération désabusée. Antonia photographie ses amis avec le souhait de les maintenir en vie, de les empêcher de s’engager dans un combat presque perdu d’avance. Et lorsque ses clichés défilent, c’est tout un pan de l’histoire de la Corse qui apparaît à l’écran. Ceux qui ont lutté, ceux qui ont disparu. Et celle qui, par ses clichés, a été à la fois actrice et spectatrice de ce combat, effigie évaporée d’une jeunesse sacrifiée.

Bande-annonce

4 septembre 2024 – De Thierry de Peretti, avec Clara-Maria LaredoMarc’Antonu MozziconacciLouis Starace


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