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AFFAMÉS

Dans une triste petite ville minière de l’Oregon, une institutrice en proie à ses propres démons tente tant bien que mal d’aider un de ses élèves, dont le père et le frère semblent s’être transformés en d’étranges créatures meurtrières et assoiffées de sang…

Critique du film

Fans d’elevated horror, debout ! Affiche léchée, police soignée, image sombre et épurée : Affamés détonne parmi les sorties horrifiques grand public de l’automne et s’affirme comme le film d’horreur art et essai de la saison. A côté du très attendu Candyman ou du très tonitruant Halloween Kills, il tranche par sa sobriété et son approche plus macabre et naturaliste de la réalité qu’il dépeint. Dans les bourgades dépeuplées de l’Oregon où se déroule l’action, nul besoin d’en faire des tonnes : la drogue, la malnutrition des enfants et la pluie suffisent à planter le décor glaçant que l’on attendait.

A mi-chemin entre Stephen King et Twin Peaks, le film exploite cette ambiance si particulière des petites villes qui pourrissent de l’intérieur et ses figures les plus emblématiques : le shérif pataud, l’institutrice alcoolique et désillusionnée, le père abusif, l’enfant taciturne et morbide… Le tout sur fond de paysages brumeux et grisâtres mis en valeur pas un étalonnage terne à souhait, où la rouille et la décrépitude gagnent du terrain -un environnement que Scott Cooper exploitait déjà dans son thriller Les brasiers de la colère en 2014.

Comme beaucoup de films d’horreur labellisés auteur ces dernières années – The Invisible Man, Relic, ou The Vigil par exemple -, Affamés choisit de s’appuyer principalement sur l’horreur de la réalité, afin de la tordre jusqu’à ce qu’elle révèle ses fêlures ; le fantastique, bien que présent et soigné, n’est finalement qu’un ornement et la matérialisation d’une souffrance et d’un malaise qui existent déjà en amont.

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Si le monstre impressionne (on n’en attendait pas moins avec Guillermo del Toro, maître incontesté du cauchemar, à la production), les pires terreurs sont ainsi seulement évoquées, jamais montrées ; les mots alcoolisme et inceste ne sont pas prononcés bien qu’ils planent sur l’histoire, et le spectateur devra composer avec cette petite phrase de Paul, le frère dont on soupçonne la souffrance mais dont on ne saura rien (« You don’t know what he did to me », répond-il calmement à sa sœur qui se rappelle la maltraitance de leur père). De la même manière, les images les plus dérangeantes ne sont pas les gros plans sur les monstres, mais celles qui parlent sans un mot de la difficulté du quotidien terne et fade des protagonistes : le dos osseux et maigre d’un petit garçon maltraité, les flash-backs traumatisants des abus sexuels subis par son institutrice, le doudou que l’on décapite pour dire au revoir à l’enfance qui n’est plus.

L’impossibilité d’avoir une enfance heureuse est peut-être le vrai drame d’Affamés – une traduction non littérale du titre original, Antlers, qui renvoie aux bois qui ornent les fronts des cerfs, mais aussi aux visuels entêtants et virtuoses de la série Hannibal, à laquelle il est difficile de ne pas songer durant le visionnage, tant les deux œuvres partagent des thématiques et une atmosphère communes. Ici, les bois renvoient à la fois à la proximité de la forêt sauvage mais aussi aux étranges excroissances qui surgissent du corps des personnes possédées, qui laissent derrière elle une sorte de mue, symbole de leur ancienne vie disparue. Ce thème de la mutation en quelque chose de plus sombre ne concerne cependant pas que les antagonistes, et ce sont bel et bien les héros qui luttent avec leurs traumatismes respectifs et connaissent une perte d’innocence.

Ainsi, bien que l’on finisse par voir la créature qui hante le film depuis les premières secondes, l’intérêt de ce dernier réside davantage dans sa manière d’interroger les liens des héros avec ceux qui leur font du mal et qui sont pourtant humains. Dans ses meilleurs moments, Affamés questionne ainsi la notion de résilience face à l’abus familial, et peut se lire comme un conte métaphorique (quoique peu original) sur la façon dont nous pouvons combattre nos démons intérieurs et se délivrer de l’emprise de notre passé. « Don’t project our past on him » met en garde Paul. Le père cannibale monstrueux est-il vraiment un démon mythologique ou tout simplement un parent abusif que le petit garçon transfigure pour se protéger ? La scène de combat final est-elle réelle ou symbolique ?

Affamés
Malheureusement, Affamés n’exploite que trop peu ces ressorts psychologiques et se cantonne tristement aux schémas classiques du film d’horreur, qui en dévoilent souvent trop visuellement et ménagent mal leur tension. On regrette l’explication simpliste, ultra-banale et vaguement fétichiste donnée pour répondre au surgissement du fantastique (une légende des natifs indigènes… sommes-nous donc dans Twilight ?), le peu de profondeur psychologique des deux héros adultes et surtout, l’exploitation ratée des thème pourtant riches de sens du cannibalisme et de la monstruosité.

Malgré une atmosphère glauque à souhait, un pessimisme réjouissant et des acteurs convaincants -on salue la performance de Jeremy T. Thomas, qui rejoint le panthéon des enfants effrayants du cinéma, le film aurait sans aucun doute pu se permettre quelques longueurs supplémentaires afin de donner de l’épaisseur à son intrigue. Difficile, après la promotion soignée qu’il a reçue, de ne pas rester sur sa faim -en dépit des cadavres vraiment peu ragoûtants et stylisés qui ponctuent l’histoire.

Après son exploration du western dans Hostiles, Scott Cooper semble s’être (un peu trop) imprégné de ce qui fait un bon film d’horreur en 2021, et livre un travail de bon élève dont il manque un peu de piquant. Avec cette première incursion du côté de la peur, il témoigne néanmoins de sa lecture intéressante et prometteuse des codes horrifiques et s’affirme comme un réalisateur à suivre pour les aficionados du genre.

Bande-annonce

17 novembre 2021De Scott Cooper, avec Keri Russell, Jesse Plemons et Jeremy T. Thomas.