AFTER
Un club techno à Paris. Le rythme de la musique emporte tout sur son passage. Les gens dansent, boivent, se droguent et parlent. Félicie rencontre Saïd et le ramène chez elle pour un after. À la frontière du jour et de la nuit, les vies et les idées entrent en résonance.
Critique du film
Présenté dans la section Panorama de la 73ème Berlinale, After est le premier film de long-métrage d’Anthony Lapia. Il choisit la nuit et une soirée techno comme cadre, de la danse, de la musique, des rencontres. Si l’on pense tout de suite au « film maudit » d’Abdel Kéchiche, Mekhtoub my love : Intermezzo, cette nouvelle proposition se distingue par son épure, filmée avec un grain particulièrement épais qui rappelle des tournages en pellicule Super 8. Dans les premières scènes, on ignore à peu près tout des personnages qui se présentent devant la caméra, seul le rythme et la dépense d’énergie comptant réellement. C’est à travers ces corps qu’on devine à peine qu’After s’offre à nous, pendant un temps si long qu’on se demande tout d’abord s’il on va sortir de cette logique de corps qui s’entrechoque, se rencontre pour mieux se séparer, l’éphémère guidant les pas.
Louise Chevillotte joue le premier personnage qui dépasse le cadre d’une silhouette, repoussant une ancienne amante, mais aussi co-colocataire, dans une logique très individuelle de dépense de soi. C’est pourtant dans la fuite qu’elle devient singulière, s’échappant de la piste de danse à la première occasion, pour emmener chez elle Saïd, un chauffeur Uber venue décompresser après une longue journée de travail. La rupture entre les deux lieux est brutale, on quitte la masse informe de la boite de nuit pour rejoindre l’intimité d’un salon où ne subsistent plus que deux personnages. Si l’auteur revient régulièrement dans l’intérieur fermé de la soirée, où sont restés de nombreux protagonistes dont l’ancienne amoureuse, ce ne sont plus que des boucles musicales rythmant la scène principale qui désormais attire toute notre attention.
Saïd et son hôte commencent à se livrer, de leurs parcours professionnels à leurs aspirations profondes, presque même trop, le manque de pudeur de la jeune femme troublant le chauffeur peu enclin à partager ses plus intimes histoires. La musique change, d’abord raccord avec la discothèque, elle devient plus mélancolique, arpentant d’autres pans de la culture populaire, déclarant que les temps changent entre les deux personnages. Si la tension entre eux augmente, chaque basculement sur la boite de nuit permettant de les voir se rapprocher, ils reviennent vite au dialogue, leurs convictions se jetant dans l’arène à la manière des corps au début du film. L’auto-entrepreneur de VTC se révèle militant et rebelle quand la jeune femme pleine de vie est en fait cynique et résignée, désignant la mort des idéaux pour cause d’un système politique et économique mortifère qui aurait déjà gagné la guerre et condamné le monde à sa perte.
Comme une illustration de ce propos, la lumière disparaît, la scène flirtant alors avec une atmosphère post-apocalyptique, comme si la nuit devait désormais dominer le jour et la civilisation s’éteindre à jamais. Pourtant, au petit matin, la vie reprend son rythme implacable, celui où l’on doit s’habiller pour aller travailler et effectuer les mêmes gestes automatiques d’une vie bien réglée. C’est bien la communication entre elle et Saïd, par le truchement d’un SMS, qui ramène de l’espoir, la rencontre n’ayant pas été vaine et cynique, mais la graine en germe des projets de demain, entre deux personnes que pourtant tout semblait opposer.
Expérience sensorielle qui brille par sa mise en scène audacieuse, After réussit à dépasser son cadre formel étriqué pour proposer un moment presque de grâce qui ne succombe à aucun cliché et surprend à chaque retour sur les deux personnages principaux. Ce beau premier film conjugue à merveille corps et esprit dans sa démonstration nocturne séduisante.
De Anthony Lapia, avec Louise Chevillotte, Majd Mastoura et Natalia Wiszniewska.