Animale 2

ANIMALE

Nejma s’entraine dur pour réaliser son rêve et remporter la prochaine course camarguaise, un concours où l’on défie les taureaux dans l’arène. Mais alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent les habitants. Très vite la rumeur se propage : une bête sauvage rôde…

Critique du film

En recevant sa Palme d’Or pour Titane en 2021, Julia Ducournau concluait son discours en remerciant le jury d’avoir « laissé rentrer les monstres ». Au-delà de la formule marquante, cette phrase soulignait en filigrane toute la frilosité de l’industrie cinématographique française à soutenir les œuvres dites de « genre ». Trois ans plus tard, force est de constater que les lignes ont légèrement bougé. Plusieurs productions hexagonales hybrides et difficiles à classer ont vu le jour (Le règne animal, Gueules noires, Vincent doit mourir…) avec des moyens alloués à la hauteur de leurs ambitions. À plus petite échelle, Animale d’Emma Benestan s’inscrit dans cette mouvance, puisant à loisir dans le fantastique pour servir son propos social.

Une femme dans l’arène

Au terme de sa longue exposition, rien ne laisse pourtant supposer que le film empruntera le chemin du surnaturel. C’est au contraire dans l’univers on ne peut plus tangible des ‘’courses camarguaises’’ que le récit prend place. Nejma est une jeune femme évoluant au milieu des manades, ces troupeaux de taureaux libres, élevés pour participer aux compétitions tauromachiques pratiquées dans la région. Passionnée par cet animal, elle lui dédie tout son temps entre son travail au sein d’une exploitation agricole et ses entrainements pour rentrer dans l’arène et devenir raseteuse de premier plan. Dans ce microcosme viril et machiste à bien des égards, Nejma semble malgré tout s’intégrer et naturellement trouver sa place parmi ses homologues masculins…

Outre son ancrage sociographique passionnant car peu représenté au cinéma, le film réussit instantanément à capter la rétine. Puisant naturellement dans l’imagerie du western, Emma Benestan filme la Camargue comme un espace hors du temps, où la vie s’écoule au rythme des bêtes. Le travail de Ruben Impens (chef opérateur sur Les huit montagnes notamment) sur l’éclairage et la photo participe énormément à la réussite plastique du film. Les cadres composés se montrent tour à tour chaleureux ou suffocants, faisant la part belle à la folle cinégénie de ce décor naturel.


Originaire de la région qu’elle dépeint et ayant elle-même assisté à des courses camarguaises durant son enfance, la cinéaste tend à retranscrire le parfum quasi mystique qui émane d’un tel folklore. Dès lors, il est peu surprenant de voir cet environnement se transformer peu à peu en espace fantasmagorique empreint de mythologie. À ce titre, l’irruption du fantastique donne lieu à plusieurs visions saisissantes, reprenant assez justement la symbolique du Minotaure et du labyrinthe pour représenter le parcours d’apprentissage et émancipatoire de Nejma.

Cependant, la promesse d’un récit métaphorique aux accents horrifiques se heurte rapidement à plusieurs problèmes, à commencer par une construction narrative des plus fragiles. Si le scénario aimerait cultiver une forme de suspense autour de Nejma et de son lien avec les taureaux, la mise en scène contredit rapidement cette note d’intention. En recourant à des effets appuyés qui surlignent en permanence son propos, le film lève trop vite le voile sur son mystère et finit par patiner laborieusement jusqu’à sa révélation finale, forcément décevante. Ce climax est d’autant plus frustrant que la réalisatrice semble appréhender l’horreur organique – pourtant au cœur de son sujet – avec une distance pudique assez incompréhensible.

À la croisée des genres, Animale séduit avant tout pour ses qualités esthétiques et son envie de capturer l’essence d’un territoire par le truchement du fantastique. Plus maladroit lorsqu’il met en parallèle le sort des taureaux et celui des femmes, le film porte malgré tout en lui un discours très actuel sur la domination patriarcale et la difficulté de s’affirmer en tant que femme dans un monde régi par les hommes. Dommage que la pertinence du propos se dilue dans une écriture balourde, qui exploite le thème rebattu du ‘’trauma féminin’’ avec peu de subtilité. Une seule certitude : le résultat final, aussi déséquilibré soit-il, donne furieusement envie de suivre les prochains projets de sa talentueuse cinéaste.

Bande-annonce

27 novembre 2024 – D’Emma Benestan, avec Oulaya Amamra, Damien Rebattel et Vivien Rodriguez.