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ARCHITECTON

Un voyage à travers les matériaux qui composent notre habitat : le béton et son ancêtre, la pierre, et leur impact sur une planète en mutation.

Critique du film

Actif depuis le début des années 1990, Victor Kossakovsky est encore peu connu malgré une œuvre documentaire déjà pléthorique. Son précédent film, Gunda, un magnifique regard posé sur une truie photographiée en noir et blanc sans aucune présence humaine dans le plan, n’a pas eu de distribution française malgré ses immenses qualités formelles. Dans son nouveau film, Architecton, ce n’est une nouvelle fois pas les hommes qui occupent l’écran, mais des pierres, et d’une façon plus large, la capacité technique de construire des édifices. Les premières images sont consacrées à des ruines d’habitations modernes, vestiges de bombardements dont émerge une immense affiche demandant aux Nations Unies de bannir de leurs rangs la Russie de Vladimir Poutine. S’il est le premier à se manifester, et sans doute le plus explicite, ce n’est pas le seul message politique d’importance que porte le film.

Les caméras orchestrées par l’auteur, souvent des drones survolant de vastes territoires arides, dévoilent des découpes gigantesques dans la roche. L’aspect monumental de ces éléments rocheux interpelle. Si ce sont des reliques du passé, d’une civilisation plusieurs fois millénaire, comment ces hommes ont-ils pu opérer de tels travaux de force, alors que nous sommes aujourd’hui incapable ne serait-ce que de les déplacer ? Ces vastes témoins de chantiers du passé demeurent figés, tellement imposants que personne à ce jour n’a pu troubler leur quiétude, dans un ensevelissement qui semble éternel. Kossakovsky, sans presque un mot, imprime dès lors un mouvement vertigineux où les pierres, dans un jeu d’accélération, prennent vie sous nos yeux.

Ces ballets rocheux, au-delà de la beauté qu’ils inspirent, rappellent le travail du photographe Ron Fricke et du cinéaste Godfrey Reggio, notamment dans Koyaanisqatsi (1982), où l’on retrouvait le même sentiment de vitesse par le biais de plans aériens inoubliables. Ce jeu d’échelle et de vitesse échappe complètement à l’être humain, redevenu spectateur d’une nature qui lui échappe. Pourtant, c’est bien de constructions humaines que parle Architecton, et d’une forme de dégénérescence dans la vision de ceux qui sont chargés de penser le présent et le futur des structures de vie de l’humanité. L’auteur montre ces bâtiments en ciment, dans un lancinant mouvement où l’on voit se matérialiser des murs imparfaits, dans un empilement de couches de glaise qui se déverse en rythme.

Là où les premières scènes témoignaient de la grandeur du génie ancien, celles plus récentes caractérisent avec violence la volatilité de ce ciment, qui ne permet une vie que de trente ou quarante années à ces constructions qui s’effondrent en à peine plus d’une génération. Michele de Luchi, grand architecte italien, est un représentant de ces bâtisseurs qui, de son propre aveu, construisent ces blocs de béton immonde. Non content d’être hideux et de polluer le paysage visuellement, ces immeubles sont une vraie problématique à moyen terme étant donnée leur très faible durabilité. L’obligation de détruire plusieurs milliers de ces blocs chaque année interroge sur la responsabilité politique qui pousse à développer toujours plus de ces ensembles au détriment de toute logique et de toute responsabilité vis-à-vis des populations.

Si le dispositif de mise en scène peut dérouter et constituer une limite, filmer avec des drones et manipuler l’image pour créer du mouvement sans un mot illustrant le projet, la force de ces images et leur portée intellectuelle sont indéniables. On ressort d’Architecton ébahi par tous les questionnements soulevés uniquement par le pouvoir de l’image par Victor Kossakovsky. Pour ces raisons, Architecton, qui n’est qu’une partie d’un vaste projet documentaire du cinéaste russe, est un film impressionnant, d’une grande beauté et politique au sens le plus noble du terme.


Documentaire de Victor Kossakovsky


Berlinale 2024