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ARGENTINA, 1985

L’histoire vraie d’un avocat qui dirige une équipe d’inexpérimentés contre les dirigeants de la dictature militaire argentine.

Critique du film

Santiago Mitre et Mariano Lliñas font équipe depuis El estudiante en 2011, ayant signé ensemble, les scénarios d’El Presidente (2017) et de Paulina (2015), films célébrés en festival, notamment à la Semaine de la critique où ce dernier obtint le Grand prix du jury. Tous deux sont des réalisateurs reconnus, Lliñas étant connu pour la Flor (2018) projet colossal de plus de treize heures qui succédait à Historias extraordinarias – qui l’avait fait remarquer en Argentine en 2008 par la force de son récit. C’est un sujet brûlant auquel les deux collaborateurs consacre leur nouveau film, Argentina 1985, celui du procès des dirigeants de la dictature militaire argentine des années 1970-1980. Tout comme pour El Presidente, c’est Ricardo Darin qui prête ses traits au personnage principal, ici un procureur qui va devoir mener le réquisitoire et l’enquête au procès civil de ces dirigeants argentins.

La pression est énorme sur les épaules des deux auteurs, ce type de films étant particulièrement piégeux, le cadre d’un film « de procès » étant particulièrement serré, perclus de figures imposées qui corsètent le récit dans un académisme souvent lourd et ennuyeux. Le parti pris des auteurs est de présenter la famille de Julio Strassera, inscrivant chaque membre dans la tapisserie de plusieurs mois de travail acharné pour constituer un dossier suffisamment conséquent pour faire condamner les bourreaux d’un régime qui a muselé toute liberté et conduit à la mort des centaines d’argentins. C’est par la création de cette multitude de points de vue que Lliñas et Mitre vont réussir assez finement à s’extirper du bourbier qu’aurait pu être Argentina 1985. On retrouve dans cette méthode celle qu’avait utilisé Jang Joonhwang dans 1987, When the day comes, où de la même façon un procureur de Séoul, joué par l’excellent Ha Jungwoo, réussissait à faire tomber la dictature sud-coréenne au pouvoir depuis les années 1950.

Argentina 1985
Chez Mitre et Lliñas, c’est aussi par la qualité de l’écriture des personnages que la petite échelle réussit à mettre en lumière la grande. Une des bonnes idées du scénario est de mettre en valeur la jeune génération d’argentins qui accèdent pour la première fois au monde du travail et sont les premiers à profiter d’une démocratie que tous et toutes découvrent avec inquiétude. La société de ce pays est encore gangrénée par de vieux tenants de l’ancien régime, et au moment de choisir une équipe pour le seconde, Strassero est obligé de recourir à ces jeunes adultes encore en formation. Cela donne lieu à des scènes où l’humour prend le pas sur la gravité du sujet, Strassero et sa garde rapprochée s’amusant à trier les fascistes des démocrates, désespérant de pouvoir dégager une troupe suffisamment fournie pour les aider dans leurs démarches.

Les défauts et réserves sur le film sont simples et contenues dans l’exercice lui-même : il est presque impossible de ne pas céder à des excès de didactisme pour ce type de film très procédurier. On pourrait ajouter également la trop grande présence de la musique pour surligner l’action, dans une surenchère émotionnelle qui a plus à voir avec le cinéma du voisin étasunien dans cette tendance à faire hurler les violons dans les instants dramatiques. Malgré ces réserves, il est évident que les derniers mots prononcés par Ricardo Darin à la fin du procès sont d’une force gigantesque qui met un point final magnifique à la démonstration du tandem argentin. On peut regretter que ce document historique d’une grande valeur ne voit jamais de distribution dans les salles françaises, le géant Amazon et sa plateforme ayant une exclusivité sur ce film produit par leurs studios. La force des mots aurait sans nulle doute résonné plus fort dans une grande salle obscure.


21 octobre 2022 sur Prime Video – De Santiago Mitre, avec Ricardo Darin, Peter Lanzani et Norman Briski.


Présenté en compétition à la 79ème Mostra de Venise