ARISTOCRATS
A presque 30 ans, Hanako est toujours célibataire, ce qui déplait à sa famille, riche et traditionnelle. Quand elle croit avoir enfin trouvé l’homme de sa vie, elle réalise qu’il entretient déjà une relation ambiguë avec Miki, une hôtesse récemment installée à Tokyo pour ses études. Malgré le monde qui les sépare, les deux femmes vont devoir faire connaissance.
Critique du film
Grand prix du festival 2021 Kinotayo du meilleur film japonais, Aristocrats pose les premiers jalons de sa narration à Tokyo en 2016. Hanako, jeune femme japonaise de 27 ans, soumise aux obligations sociétales, peine à trouver un compagnon. Une fois celui-ci rencontré, son chemin croise dans l’entourage de son futur mari celui d’une autre femme Miki, qu’elle va apprendre à connaitre.
Un film « classe »
Aristocrats a pour vocation la prise de conscience du spectateur en ce qui concerne divers sujets sociétaux japonais et il y parvient à merveille. Yukiko Sode use de 5 chapitres pour dévoiler son histoire qui puise ses origines dans un roman intitulé « Ano Ko wa Kizoku » de Mariko Yamauchi. Ce bouleversement prend vie de part les incommensurables règles et dictats qui règnent en maître dans la ville de Tokyo et plus généralement au Japon. On y côtoie la pression familiale en ce qui concerne la situation maritale des femmes, la dureté du milieu professionnel à l’encontre des naissances, une désunion certaine chez une potentielle sororité japonaise ainsi que le patriarcat écrasant et étouffant de cette société d’extrême-orient.
Le film n’a pas l’objectif de nous le montrer avec une brutalité excessive mais bien avec une subtilité évidente. La finesse du propos s’entrelace avec la délicatesse du regard de Sode. Ce premier long-métrage se donne donc à être comme un essai sociologique qui chercherait à dévoiler une société « gruyère » qui oppose plus qu’elle ne scinde ses habitants (tokyoïtes de naissance en « conflit » avec les provinciaux, ainsi que les tokyoïtes issus d’une classe aisée et ceux qui sont issus d’une classe plus défavorisée). Aristocrats permet de mettre en lumière ces contrastes écrasants et particulièrement importants de la ville de Tokyo. Ces oppositions continuent d’être virulentes et d’exister au nom d’une tradition antique. Yukiko Sode est la cheffe d’orchestre de ses plans et elle l’affirme en arguant d’un propos qui vise à mettre en contraste deux types de femmes aux destins qui diffèrent.
Aristocrats et les femmes
Afin de créer le trouble avec encore plus de ferveur, Sode plonge le récit d’Hanako dans une société contemporaine sans jamais chercher à ce que la modernité grignote avec trop d’emprise la narration. Les traditions, si importantes dans la société japonaise, nous amènent presque à oublier l’époque contemporaine dans laquelle le récit prend vie. Ce décalage modernité / tradition qui s’ancre dans une « société vitrine » qui a pour habitude de nous dévoiler une capitale où le neuf règne, tend à la déstabilisation du spectateur. C’est alors un long-métrage doté d’une maîtrise certaine qui nous est dévoilé tant celui-ci oublie et de manière volontaire sa temporalité afin de se plonger dans une époque presque infinie qui vise l’indéterminé ainsi que l’intemporel. La narration prenant place deux ans avant l’affaire Harvey Weinstein, Aristocrats nous injecte alors une piqûre de rappel (qui ne fait jamais de mal) en ce qui concerne l’égalité hommes-femmes qui se trouve toujours être en statut-quo en Extrême-Orient.
Une ambivalence subsiste qui ne cesse de scinder l’avancée fulgurante de la modernité due par exemple à la technologie haute-gamme avec le poids des traditions. La caméra s’empare de deux récits qui entrent en collisions avec un éloignement certain qui se révèle être hautement intéressant. La réalisatrice japonaise tend la main aux spectateurs en cherchant à les accompagner sans donner à voir un film doté d’un message politique fort qui serait dénué de fond. Aristocrats montre alors l’impact d’un vent libertaire qui commence à souffler et à se déverser (assez lentement) sur les diverses femmes qui peuplent la société japonaise. Sode avec son long-métrage tente l’affirmation féministe japonaise qui cherche à briser le carcan patriarcal.
Le luxuriant chez les Aristocrats
Aristocrats émerveille aussi et surtout par la jouissance que l’on ressent de la part de la réalisatrice à filmer à la fois ses acteurs ainsi que les décors dans lesquels ils évoluent. L’ambiguïté réside également dans leur intériorité à tel point que l’angle de vue adopté par l’autrice amène le spectateur à observer un mélange de sauvage et d’ordre. Naturel et artificialité qui prennent vie dans les décors s’opposent comme deux mondes qui n’ont avoir rien en commun mais qui doivent tout de même co-exister. On est émerveillé par la beauté de ces plans cherchant constamment l’opposition au sein des cadres cinématographiques mis-en-scène par Sode. Cette adversité qui joue sur l’ambivalence et la complexité des plans, intellectualise le propos en dénonçant ces injustices avec dévotion sans jamais perdre de vue la poésie primaire. Aristocrats perd cependant légèrement en force lors de certaines longueurs qui plongent le spectateur dans une petite torpeur qui s’évanouissent cependant très rapidement. Les personnages semblent également de temps à autre être engloutis par les décors qui les font à de rares occasions s’affadir un tant soit peu.
Bande-annonce
30 mars 2022 – De Yukiko Sode, avec Mugi Kadowaki et Kiko Mizuhara.