ARIZONA JUNIOR
Hi, impénitent cambrioleur de supermarchés, passe beaucoup de temps dans la prison de Tempe en Arizona. Il y rencontre un jour Ed, charmante femme policier, dont il tombe éperdument amoureux. Terminé les braquages, il se marie et part pour l’usine qui ressemble somme toute à la prison. Hi et Ed voudraient un enfant mais Ed est stérile. Or un jour des quintuplés font la une de la presse locale. Hi et Ed décident d’en voler un. Sur cinq, cela ne se verra pas trop.
Critique du film
Deuxième film dans la longue liste des réalisations des frères Coen (avant 2003, seul Joel était crédité comme réalisateur mais on parlait déjà des « frères Coen »), Arizona Junior marquait leurs débuts dans la comédie et annonçait déjà leur volonté de toucher à tous les genres, après leur premier film Sang pour Sang qui était lui un hommage au film noir. L’histoire d’Arizona Junior, c’est celle de H.I. (Nicolas Cage) délinquant multirécidiviste et braqueur de supérettes pas vraiment doué, qui passe sa vie à faire des allers-retours dans une prison d’Arizona.
C’est là qu’il rencontre Ed (Holly Hunter), policière préposée aux photos – les mug shots – des futurs détenus. Entre les deux, c’est le coup de foudre ! Aussitôt sorti de derrière les barreaux, Ed et H.I. se marient et emménagent ensemble. Le changement de vie est radical pour ce dernier qui gagne désormais sa vie honnêtement à l’usine. Décidés à concrétiser leur amour, les deux tourtereaux se mettent en tête de fonder une famille… Problème : Ed est stérile. Dans l’incapacité d’adopter en raison du casier judiciaire plus que chargé de H.I., le désespoir s’empare du couple, jusqu’au jour où l’actualité leur envoie un signe qu’ils estiment providentiel. En effet, la famille Arizona fait la une des médias avec la naissance de leurs quintuplés ! Face à cette injustice de la vie qui voit une famille avoir trop d’enfants là où eux n’arrivent même pas à en avoir un seul, Ed et H.I. décident d’en voler un. Après tout, un bébé sur les cinq, cela ne devrait pas trop se remarquer. C’est ainsi que les ennuis vont commencer…
Une dimension cartoonesque
Rarement l’expression « comédie déjantée » aura aussi bien collé à un film, tant Arizona Junior est un tourbillon qui emporte tout sur son passage, à commencer par les rires des spectateurs. Mêlant avec autant d’aisance les scènes d’action hystériques et les séquences de comédie pure, le film des frères Coen semble tout droit sorti de l’univers de Tex Avery. Pour s’en rendre compte, il suffit de revoir la course-poursuite délirante dans les rayons d’un supermarché avec Nicolas Cage et son paquet de couches volé sous le bras, essayant d’échapper aux policiers qui font feu de tous bords. Un pur moment de folie digne des meilleurs dessins animés du maître.
Cette dimension cartoonesque, on la retrouve principalement dans les personnages, H.I. en tête. Affublé d’une dégaine improbable à la Dingo, de son regard de Droopy, Nicolas Cage est parfait dans le rôle de ce repris de justice attachant. Tatouage de Woody Woodpecker sur le biceps, il laisse parler toute sa folie naturelle qui fait de lui l’un des meilleurs (si ce n’est le meilleur) acteurs de sa génération. Holly Hunter est, elle, touchante en policière en mal de maternité qui, révoltée par l’injustice de la nature et déterminée à fonder un foyer, va mettre sa droiture de côté. Autour d’eux s’anime une galerie de personnages bien loufoques comme seuls les deux cinéastes savent les créer, de John Goodman à William Forsythe en évadés pas fute-fute, en passant par l’inévitable Frances McDormand.
Dans le même registre, l’apparition du « motard solitaire de l’Apocalypse », comme l’appelle H.I., donne une tournure encore plus fabuleuse (au sens littéral du terme) au film. Ce personnage fantasmagorique qui semble arriver des mêmes terres arides que Mad Max, est autant un antagoniste pour le couple que l’incarnation physique du mal et de la rage qui habite H.I. Une sorte de fatalité implacable venue des enfers, qu’il doit combattre aussi bien dans la vie que dans son for intérieur. Le film est bourré de ce genre de clin d’œil à la pop culture qu’il se réapproprie.
Sorti en 1987, il est le fruit du talent de ces deux frères surdoués mais aussi le produit de son époque. Outre la référence au héros post-apocalyptique de George Miller, l’influence réciproque avec le cinéma de Sam Raimi se fait sentir. Rien de surprenant ici, les frangins et lui sont des amis proches, et ils ont collaboré sur plusieurs films comme le déjà très cartoonesque Mort sur le Grill en 1985, dont ils avaient écrit le scénario. Cela explique sans doute certains mouvements de caméra survitaminés qui ne sont pas sans rappeler Evil Dead (1981), pour lequel Joel Coen était co-monteur. Mais à l’inverse, et c’est la preuve que le film est à son tour devenu source d’inspiration, il y a fort à parier que Tarantino, qui n’a jamais caché son admiration pour le duo, s’est remémoré la baston entre Nick Cage et John Goodman dans la caravane au moment de mettre en scène celle opposant The Bride et Elle Driver dans Kill Bill 2.
Losers magnifiques
En plus de leur science du montage et de cette capacité unique à allier humour et noirceur, ce qui fait la marque de fabrique du tandem, c’est cet attachement à l’Amérique profonde. Cette contrée peuplée de personnages loufoques, tordus et maladroits, aux trognes improbables. Des losers magnifiques, comme H.I., qu’ils ne traitent jamais avec mépris mais au contraire avec une réelle tendresse, malgré leurs défauts. Comment ces personnages qui ne rentrent pas dans le moule peuvent trouver leur place dans une société si conventionnée ? C’est pour cela que la situation finit toujours par déraper dans leurs films. La nature humaine est ainsi faite. Et c’est aussi pour cette raison que la famille (qu’elle soit biologique ou symbolique) constitue souvent le seul noyau où ce genre d’individu peut s’épanouir, la seule richesse pour ceux qui n’ont rien.
C’est tout l’objet du rêve que fait H.I. à la fin. Dans une dernière séquence émouvante, renforcée par la même voix-off de Nicolas Cage qui avait ouvert le film, le personnage de H.I., avec toute son innocence, imagine quel pourrait être l’avenir pour tous les protagonistes. Le film devient ainsi plus que jamais une sorte de fable avec sa morale idéaliste et poétique qui apporterait ce qu’il mérite à chacun, comme un remède à l’injustice de la vie. Une fin douce-amère car aussi beau et juste que cela puisse paraître, il ne s’agit au final que d’un rêve, et l’on sait que dans ce monde, les rêves ne se réalisent pas toujours.
Sans être aussi abouti que certains de leurs futurs chefs-d’œuvre, Arizona Junior est probablement le film le plus débridé des frères Coen. On y trouve déjà les prémices de tout ce qui fera leur réputation, ce sens du burlesque et de l’absurde au service d’une histoire empreinte de mélancolie. La musique géniale de Carter Burwell, le compositeur historique de quasiment tous leurs films, apporte encore un supplément de fantaisie à l’ensemble, avec ce mélange explosif de banjo et de chants yodel aux rythmes de musique country. Avec son casting complètement dingue et ses délires visuels qui s’enchaînent à un rythme effréné, Arizona Junior est une comédie irrésistible bourrée d’idées qu’on ne se lasse jamais de revoir.