ARMAND
Lorsqu’un incident se produit à l’école, les parents des jeunes Armand et Jon sont convoqués par la direction. Mais tout le monde a du mal à expliquer ce qu’il s’est réellement passé. Les récits des enfants s’opposent, les points de vue s’affrontent, jusqu’à faire trembler les certitudes des adultes…
Critique du film
Une voiture qui fonce à toute allure sur une route de campagne. Des talons qui claquent sur le sol et résonnent sur le carrelage d’un couloir d’école élémentaire. Halfdan Ullmann Tøndel colore d’emblée son premier long-métrage d’une tension palpable. On découvre rapidement qu’Elisabeth, mère célibataire portant sur ses épaules autant de notoriété (liée à sa profession) que de jugements extérieurs. En coulisses, l’enseignante s’inquiète. Comment doit-elle procéder lors de la confrontation qui se prépare entre la mère d’Armand et les parents de Jon, qui aurait été agressé par son camarade ? Bien choisir ses mots, garder son opinion pour soi, se prévenir d’émettre tout point de vue et rester factuelle. Voilà des recommandations que tout enseignant a déjà entendu de sa hiérarchie avant un rendez-vous délicat visant à trouver une issue à un problème scolaire.
Lorsqu’Elisabeth pénètre la salle de classe, elle transmet cette agitation qui l’habite. La situation est délicate et il ne faudrait ni minimiser ni laisser les esprits s’échauffer. La diplomatie semble de rigueur pour celle qui a la responsabilité des deux jeunes élèves et se doit de rendre compte des faits reprochés à Armand. La lecture de ceux-ci arrive bien vite, relatant un incident troublant, à caractère potentiellement sexuel. La chaleur estivale est écrasante. Les nerfs sont déjà soumis à rude épreuve. Dans l’école, presque désertée à l’approche des grandes vacances, il faut trouver une solution pour apaiser les inquiétudes et demeurer lucide face aux éléments en possession de l’équipe enseignante.
Si le réalisateur Halfdan Ullmann Tøndel soigne déjà sa mise en scène et son esthétique, décuplant la dimension anxiogène de cette confrontation, son scénario ne dévoile pas d’emblée certains éléments et c’est au spectateur de scruter les réactions, de comprendre entre les lignes. On devine que l’affect semble plus important qu’à l’accoutumée et qu’un lien moins anodin qu’on le croyait unit les deux familles. Les deux mères paraissent plus proches que deux simples mamans qui auraient sympathisé sur le trottoir. Ce conflit entre enfants prend alors des proportions insoupçonnées alors qu’il réveille d’autres problématiques familiales. Et, comme souvent, les parents reportent sur leurs enfants leur propre rapport à l’école, mais aussi leurs propres traumas. Ce qui pourrait se régler simplement, autour d’une discussion constructive, devient plus complexe pour l’équipe enseignante en tenant compte des antécédents plus importants.
Pour son premier long-métrage, Halfdan Ullmann Tøndel parvient à tirer profit de son dispositif théâtral autant que de ses ressources cinématographiques. Alors que la première partie d’Armand est très dialoguée, les mots se font de plus en plus rares dans la deuxi!me heure et laissent progressivement place à plus d’intériorité et de suggestions. Les accusations fusent, les nerfs lâchent. La réunion est régulièrement interrompue, comme pour permettre à chacun de reprendre ses esprits. Dans une scène mémorable, l’éblouissante Renate Reinsve sidère le comité réduit alors que les émotions submergent son personnage. S’appuyant sur le talent de sa troupe de comédiens, au milieu de laquelle brille la comédienne révélée par Julie en 12 chapitres, le metteur-en-scène opère bientôt une bascule plus formaliste en jouant avec le cadre scolaire. Les cadrages, le montage, le mixage sonore, la musique et même la danse offrent des clés de compréhension des enjeux et d’anticipation de dénouements probables.
Faisant usage d’une impressionnante grammaire cinématographique, Halfdan Ullmann Tøndel éblouit pour sa première réalisation présentée à Un Certain Regard. Audacieux, il déplace encore le curseur lors de sa dernière demi-heure en embrassant pleinement la dimension figurative de ses séquences conclusives, quitte à perdre en route certains spectateurs adeptes de résolutions plus explicites. Avec sa tragédie scolaire en huis-clos, il signe assurément des débuts fulgurants et offre à Renate Reinsve un terrain de jeu idoine pour exprimer son infini talent de comédienne.
De Halfdan Ullmann Tøndel – Avec Renate Reinsve, Ellen Dorrit Petersen
