L’ASSASSINAT DE JESSE JAMES PAR LE LÂCHE ROBERT FORD
En 1881, Jesse James est un hors-la-loi légendaire. Il a 34 ans. Sa célébrité lui provient de multiples braquages. Au lendemain de la guerre de Sécession, il représente une rébellion qui lui vaut d’être considéré comme un Robin des Bois. Parmi les admirateurs de cet ancien soldat, le jeune Robert Ford, 20 ans, rêve de faire partie de la bande des frères James. Pendant plusieurs mois, il va côtoyer son idole, partager sa vie errante jusqu’à ce que Jesse James s’arrête dans sa maison, auprès de sa femme et de ses enfants.C’est là que Robert Ford va le tuer. Par la suite, il rejouera cet assassinat sur des scènes de théâtre. Mais le héros sera toujours Jesse James.
Candeur et décadence
Il ne faut que trois minutes à Andrew Dominik pour dissiper des doutes pourtant légitimes. Un titre à rallonge qui comporte en son sein la résolution de l’intrigue, cette même intrigue qui n’a donc pas la saveur de la découverte, une voix off omniprésente, un genre loin de son âge d’or, une intrigue éculée, une longueur conséquente, etc, etc. Il y avait de quoi se montrer méfiant.
Trois minutes suffisent pour que le somptueux travail du chef opérateur sur la photographie saute aux yeux. Toute la justesse des plans orchestrés par Roger Deakins (chef opérateur attitré de Villeneuve et des Coen) permet cette immersion instantanée au cœur de l’ouest et de ses mythes. Pour faire la lumière sur l’un des assassinats majeurs du 19e siècle, un orfèvre du genre était le choix idoine. C’est ainsi qu’à l’aube du jour, sur l’immensité faites Ouest, Jesse James s’érige.
Passé la certitude que chaque plan est un agencement formidable d’idées, il reste deux heures et trente-sept minutes pour assister à la chute d’une légende. Ce qui captive en premier lieu, c’est cette narration lancinante, sorte de bête hybride entre contemplation et introspection. Celle-ci, associée à un montage aux non-dits elliptiques, offre un rythme particulier difficile à décrire. Cette peinture d’assassinat devient une œuvre unique et envoûtante.
Dans le tumulte poussiéreux des souvenirs
La relation qu’entretiennent Jesse James et Robert Ford contribue également au mystère dont se pare l’épopée de Andrew Dominik. Rares sont les héros légendaires à avoir été dépeints avec une telle complexité. Jesse, dont le fantôme semble posséder Brad Pitt, est d’une dualité sans pareil : père, mari aimant, craint et respecté de tous, meurtrier, cruel. Comme si la mort en personne avait trouvé en l’amour sa concubine et que, rongé par sa culpabilité et la nature de son être, elle oscillait entre l’horreur et la compassion. Robert Ford, incarné par Casey Affleck dont le caractère unique du jeu profite fortement à l’œuvre, contribue à assoir la légende. Il est le reflet des inquiétudes de Jesse, la main salvatrice qui pourra le libérer, mais surtout la candeur qui manque tant à Jesse. Il est peut-être un lâche, mais c’est avant tout un homme empli d’admiration, de jalousie et de mépris.
De ce parfum que distille Andrew Dominik finit par faire éclore la poésie. L’infinie mélancolie qui traverse peu à peu les yeux bleus de Jesse, écho d’une existence en perdition, se mue en un chant lyrique rehaussé par la composition hypnotisante de Warren Ellis et Nick Cave.
Tout à coup, dans le tumulte poussiéreux des souvenirs, ploie la légende Jesse. Et tel Sisyphe, « Bob » Ford se voit jouer encore et encore la scène de l’assassinat, prisonnier de ses propres remords, et condamné à ne jamais jouir de ce qu’il a tant rêvé. L’éclosion d’une légende est un miracle que seul le temps révèle. A. Dominik l’a bien compris et signe l’un des plus beaux « westerns » des deux dernières décennies.
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