ASTEROID CITY
Critique du film
La présentation d’Asteroid City au 76e Festival de Cannes est forcément déterminante pour Wes Anderson. Reconnu et acclamé pour son style inimitable, le texan francophile a construit une œuvre singulière qui n’appartient qu’à lui. Un regard unique en son genre dont le succès critique et public n’a jamais cessé de croitre, tout du moins jusqu’à la sortie de The French Dispatch. La dernière fantaisie en date du cinéaste a connu un accueil plus que tiède lors de sa présentation cannoise en 2021. Un film à sketches tourné en France qui paraissait étrangement désincarné, comme s’il mettait en lumière les limites d’une recette programmatique de moins en moins digeste. On espérait alors d’Asteroid City qu’il retrouve la flamboyance des précédents travaux de son auteur.
Asteroid City entraine le spectateur dans une ville imaginaire perdue en plein milieu du désert américain. Connu pour son cratère où s’écrasa jadis une météorite, la petite bourgade accueille une ribambelle de protagonistes venus pour la plupart assister à une remise de prix pour jeunes astronomes. Mais un événement venu du ciel va vite ébranler la convention, forçant le gouvernement à mettre la ville en quarantaine. La communauté va alors devoir cohabiter patiemment et tisser des liens dans ce no man’s land…
Autant le préciser d’entrée de jeu, Asteroid City ne présente en aucun cas un bouleversement stylistique dans la carrière de Wes Anderson. Les mauvaises langues pourront s’agacer et dresser à loisir un inventaire des éléments formels caractéristiques au cinéma de l’auteur que l’on retrouve dans ce nouvel opus : obsession maladive pour la symétrie du cadre, photographie joliment vintage, casting de stars, abondance de dialogues déclamés dans une rythmique aussi décalée que précise… Le réalisateur opère en terrain familier. Mais il faudrait être de très mauvaise foi pour ne pas reconnaitre (une fois encore) la perfection technique de l’ensemble. Wes Anderson est seul maître à bord, s’amuse comme un petit fou à créer un univers homogène et cohérent, avec un souci du détail toujours plus fou et qui transpire à chaque photogramme.
Pour autant, cet emballage est-il la preuve supplémentaire d’un cinéaste n’ayant plus grand-chose à raconter et devenu prisonnier de son propre dispositif ? La réponse n’est pas si évidente. Car si The French Dispatch souffrait d’une approche théorique qui mettait systématiquement l’émotion hors-jeu, Asteroid City propose l’exact contrepied. Jamais le cinéaste n’a paru autant se livrer sur sa condition d’artiste que dans ce film. Par une trouvaille narrative qu’il serait criminel de déflorer ici, Anderson traite frontalement de ses peurs, des limites de son art et propose in fine une réflexion d’une grande mélancolie sur les affres de la création. Cela passe évidemment par le parcours émotionnel de ses personnages, tous admirablement caractérisés. Le cinéma d’Anderson retrouve alors une force d’incarnation qui manquait cruellement à ses derniers travaux. L’émotion peut alors envahir le spectateur sans retenue.
Sous ses airs de petit théâtre de marionnettes léger et artificiel, Asteroid City cache en fait une proposition beaucoup plus torturée et désabusée qu’elle n’y parait. Il y est question de deuil, de romance empêchée et plus globalement de la peur du vide. Wes Anderson ose marier ces problématiques existentielles complexes avec l’artificialité des effets qu’il maîtrise comme personne. Le résultat est aussi drôle que cruel, aussi profond que divertissant et aussi intime qu’universel. Il faut remonter à Moonrise Kingdom, il y déjà onze ans pour attribuer ces adjectifs à un film de Wes Anderson. De là à dire que le réalisateur tutoie de nouveau un tel sommet, il n’y a qu’un pas.