AZURO
Un été. La torpeur. Une chaleur écrasante. Un climat déréglé. Un village coincé entre la mer et la montagne. Pas de réseau. Pas de portable. Des amis qui se connaissent trop bien. Rien à faire. Ou si peu. Les vacances. Et puis arrive un bateau. Et de ce bateau, descend un homme. Un homme mystérieux…
Critique du film
Adapté du roman Les petits chevaux de Tarquinia écrit par Marguerite Duras en 1953, le film réalisé par Mathieu Rozé s’inscrit dans un genre presque théâtral, épousant un huit clos solaire qui émerveille et rend compte d’une intemporalité qui étonne. C’est en effet dans cette île que l’éclosion de leur passion et de leur sentiment amoureux vont se mouvoir et naîtront tout au long du film.
Les œuvres de Duras ont pour la plupart tendance à marquer leur époque et leur temps d’une empreinte qui les rendent témoins de ceux-ci. Mathieu Rozé parvient, tout en insufflant une identité propre à son film, à retranscrire profondément l’œuvre littéraire de Duras. L’amour et la passion ne sont-ils pas des sentiments universels qui s’ancrent dans une intemporalité évidente ? C’est autour de ces deux sentiments, et des interrogations qui en découlent, que le film va axer sa narration…
Une bande son solaire
Cet « album » de vacances croise l’onirisme subjectif du personnage de Sarah, qui nous laisse entendre une bande originale qui peut sembler répétitive aux premiers abords, mais qui avoisine un romantisme éclairé et intriguant. Les notes pop électro française créées de toute pièce par Kid Francescoli caressent, épousent très convenablement les corps et les sensations éprouvées par la mère de famille. Azuro se tapisse de musiques flottantes et aériennes, qui ancrent ses situations scénaristiques de manière prononcées mais toujours avec intelligence. On se surprend également à sourire à quelques occasions car certaines mélodies habillent avec un soupçon de comique des scènes qui étonnes mais ravivent. C’est dans cette ambivalence mêlant comique et sérieux que la bande son d’Azuro parvient à tirer ses forces. Kid Francescoli n’hésite, pas, par exemple, à tourner très légèrement en dérision les regards appuyés de Sara sur l’homme mais toujours avec une optique affectueuse. Les mélodies présentes dans le film prennent alors le contre-pieds de l’atmosphère étouffante de chaleur dans laquelle évolue les personnages. Elles les placent donc, et pour notre plus grand plaisir dans un confort ainsi qu’une idéalisation de cette parenthèse enchantée.
Un joyaux de casting aux allures mythologique
Le long métrage offre également un écrin soyeux au casting, et dont certains affirmeront voir jouer des caricatures personnifiées, mais qui auront pour vocation l’appropriation évidente de l’univers de Duras. Illustres et implacables personnages et comédiens, le duo qui uni l’homme mystérieux incarné par Nuno Lopes et la mère de famille Sara incarnée par Valérie Donzelli nous montre une étincelle passionnelle filmée avec admiration et bienveillance par Mathieu Rozé. L’ancien comédien et nouveau réalisateur nous donne à observer un film dans lequel les références et les questionnements foisonnent et même se multiplient. Cet homme mystérieux accompagné de Sara semble faire écho aux figures mythologiques qui prenaient vies dans les mythes d’Homère et d’Ovide. Azuro semble vouloir faire un pont aux divinités grecques et à leurs histoires d’amour qui prenaient vie sur une durée plus ou moins longue. Tout comme les péripéties propres à la mythologie grecque, l’histoire de Sara et de l’homme mystérieux se cristallise et nous colle à la peau bien longtemps après le générique de fin déroulé. Cette bulle de passion se trouve être renforcée et sublimée par des paysages de sable fin doré et de mer turquoise.
L’aspect visuel et les métaphores qui prennent vies dans Azuro peuvent parfois donner l’impression d’alourdir le propos et pourtant il n’en est rien. Ils sont là pour styliser avec conviction et poésie les paysages ensoleillés de ce film. Mathieu Rozé extrait de la malle de la Nouvelle Vague française pléthore de références dans le but d’alimenter son long métrage. Afin d’illustrer ce « Campari visuel » (pétillant et lumineux), on y retrouve par exemple une colorimétrie qui se rapproche du Mépris de Jean Luc Godard, des péripéties amoureuses et des jeux de comédiens qui nous rappellent certains films de Rohmer. Rozé use aussi de son instinct primaire afin d’apprendre à jouer avec les couleurs pour appuyer le sens de ses péripéties, des situations dans lesquelles les personnages se trouvent. La pertinence de cette action réside dans cette volonté de s’éloigner d’une adaptation de Duras bien trop élitiste qui viendrait créer un rétropédalage néfaste au long métrage.
Azuro adopte l’idée d’une pleine compréhension soutenue par une mise en scène claire dénuée de fioriture, éloignée de tout sentiment de tape à l’œil qui enliserait le film dans une spirale intellectuelle infernale. Une petite perle trouvée au fond de la mer, annonciatrice d’un été 2022 romantique, flirtant avec le caliente et le passionné.
Bande-annonce
30 mars 2022 – De Mathieu Rozé
avec Valérie Donzelli, Thomas Scimeca, Nuno Lopes et Yannick Choirat