BABYSITTER
Critique du film
Trois ans après La femme de mon frère, premier film déjà prometteur, pour lequel nous avions pu lui en toucher deux mots, la réalisatrice et actrice Monia Chokri est de retour en grande forme, à bord d’un ovni rutilant. Avec Babysitter, elle adapte la pièce de théâtre à succès de la dramaturge Catherine Léger, sortie en 2016 : deux plumes au scénario donc, pour cette comédie fantasque et pop, qui, dans ses retranchements, prend des allures horrifiques aussi étonnantes que réjouissantes.
Oui, vous avez bien lu : pour son second film, Chokri s’est lâchée. À mort les stéréotypes, les idées préconçues du « deuxième film » (celui de la maturité, vous savez…). Bien au contraire, la cinéaste, qui campe ici le premier rôle, a préféré laisser parler sa créativité dans toute sa splendeur. Ainsi, Babysitter ressemble plus à un assemblage rocambolesque de scènes loufoques, où le montage est savamment pensé, la mise en scène souvent léchée et inventive, baignée dans une texture d’image atypique (le 35mm) qui donne ce grain, signée par la talentueuse directrice de la photo, Josée Deshaies.
Voilà pour la forme ; pour le fond, c’est une toute autre histoire. D’abord, Monia Chokri continue dans sa lancée de cinéma purement d’auteur, très québécois, où l’humour est la règle d’or, grâce à un carnet de dialogues impeccable. En dépeignant ce couple à la dérive, lors de la naissance de leur premier enfant (et sûrement dernier, ceci étant dit), Chokri déroule ses idées avec malice, avec comme toile de fond une société post-MeToo. L’emprise, le patriarcat, la charge mentale, le sexisme ambiant, la misogynie interne au couple… L’arrivée de la baby-sitter, incarnée par Nadia Tereszkiewicz, bouleverse le duo et le film tout entier.
De là, Monia Chokri tente l’impossible en y intégrant quelques références horrifiques, de Harry Kümel à Robert Altman en passant par Argento. Le film prend alors des allures de contes de l’étrange, où les conventions de temps et de lieu n’existent plus, où les personnages sont comme des Playmobil ambulants. « J’ai tenté de faire accepter des codes qui passent d’ordinaire moins bien au cinéma qu’au théâtre, » confiait la réalisatrice, lors de l’avant-première de son film. Et c’est réussi ! Tout, malgré l’absurdité des situations, l’enfermement des cadres et des plans, transpire l’envie de cinéma. La maison de banlieue, le cabinet de pédiatrie, le jardin verdoyant… Cette plastique terrifiante, polissant une bourgeoisie exacerbée et un faux rêve américain, fait de ce film un réel terrain de jeu créatif et ludique pour une auteure en voix de confirmation. De toutes ces idées assemblées, comment ne pas tomber sous le charme. D’autant plus allongés dans un océan de coquelicots, ou un bain moussant en forme de cœur…
Bande-annonce
27 avril 2022 – De Monia Chokri, avec Patrick Hivon, Monia Chokri
