BEAU IS AFRAID
Beau Wasserman, un homme paranoïaque n’ayant jamais grandi mentalement, tente désespérément de rejoindre sa mère Mona, femme d’affaires riche et célèbre. Mais l’univers semble se liguer contre lui. Commence alors une aventure improbable.
CRITIQUE DU FILM
Après les fabuleux Hérédité et Midsommar, Ari Aster, poulain de l’écurie A24, était attendu au tournant. Il signe, avec Beau is Afraid, son film le plus loufoque, outrancier et personnel. En reprenant le synopsis de son court-métrage Beau (2011) qu’il étire sur près de trois heures, le New-yorkais casse les codes et propose un objet filmique hors du commun. Avec un budget estimé de 35 millions de dollars, le plus élevé d’une production A24, Beau is Afraid révèle les obsessions de son réalisateur et les pousse à leur paroxysme.
Après s’être fait voler ses clés, Beau est forcé de faire face à ses innombrables peurs : la peur de l’individu dégénéré qui traumatise tout son quartier, celle de se retrouver sans domicile, celle que sa carte ne passe pas au supermarché, celle de sa mère jalouse et possessive, celle de la mort, de la vie… À travers cette présentation de son protagoniste et sa confrontation avec le monde extérieur, Ari Aster nous montre ce qu’il sait faire de mieux. Il nous force à questionner la nature des événements – réels ou non – subis par le malheureux protagoniste. Les plans larges et les mouvements de caméra à 360 degrés permettent de visualiser le monde à travers les yeux d’un homme profondément dépressif à l’anxiété maladive : le danger l’attend, littéralement, à chaque coin de rue.
Et cette épopée kafkaïenne ne serait pas aussi anxiogène sans la performance hallucinante de Joaquin Phœnix, habité par les peurs de son personnage. Sa collaboration avec Ari Aster apparaît comme une évidence, tant leur alliance fonctionne à merveille. Phœnix incarne à la perfection ce grand enfant psychotique à la phobie sociale irrépressible, et permet l’émancipation complète du long-métrage.
FOLIE DES GRANDEURS
Beau is Afraid est un OVNI. Le film frappe par sa singularité, cette impression constante d’assister à du jamais-vu. Impossible de se préparer pour cette expérience unique, et tant mieux : c’est dans ses rebondissements perpétuels et sa plongée assumée vers l’hystérie que le long-métrage trouve toute sa force. Ari Aster met l’horreur de côté pour se concentrer sur le tragi-comique. Tout est plus drôle, plus indécent, plus sombre que dans ses précédentes œuvres. Cette absence d’horreur dévalorise encore un peu plus ce protagoniste constamment effrayé et force le rire. Rire qui va laisser sa place, au fil du récit, à une tension dont il est difficile de se défaire. Ce long voyage psychédélique puise son ingéniosité dans ses plans larges et novateurs. Dès les premières minutes, l’attention portée aux détails impressionne.
Tags, tatouages, objets à la signification bien précise : le quartier de Beau fusionne avec le réel et permet au spectateur de complètement épouser la confusion du protagoniste et du monde qui l’entoure. Cette profondeur apportée par les décors contraste avec la remise en question constante de ce qui apparaît à l’écran : réelle péripétie du personnage ou fruit d’une imagination débordante ? Les séquences d’animation apportent une dose d’absurdité supplémentaire et trompent une nouvelle fois le spectateur qui, à aucun moment, ne peut s’accaparer l’intrigue.
MAMAN, J’AI RATÉ L’AVION
Guidé malgré lui par sa peur, Beau fait face à ses plus grandes craintes et à des résurgences du passé, lesquelles trouvent leurs sources dans un effroyable rêve d’enfance qu’il partage avec sa mère. L’intrigante Mona est à l’origine de tous les maux de son fils. Chaque interaction avec lui a pour objectif de le faire culpabiliser d’être en retard, de ne pas être expressif, de trop parler, d’exister. Et Beau culpabilise. Partout. Tout le temps. Même lorsqu’il est à des milliers de kilomètres de celle qui l’a traumatisé à vie, il ne peut échapper à son emprise. Pire, il se force à surmonter son anxiété permanente pour se lancer dans un périple œdipien insensé. Périple dont la conclusion est une apothéose de monstruosité et de perversion.
Fascinant, sinistre et parfois repoussant, Beau is Afraid va forcément laisser des spectateurs de côté. Ce mélange presque indigeste est une anomalie dans l’industrie hollywoodienne. Une expérience singulière, démonstrative et inconfortable, dont on ressort fiévreux mais profondément marqué. Un film qui dévoile l’étendue du talent d’un cinéaste qui va assurément laisser une empreinte indélébile sur son temps, et qui semble prêt à s’affranchir de tous les codes du cinéma américain.
Bande-annonce
26 avril 2023 – D’Ari Aster, avec Joaquin Phoenix, Nathan Lane, Amy Ryan