BEAU JOUEUR
La ficheRéalisé par Delphine Gleize – Documentaire – France – 26 juin 2019 – 1h43
La critique du film
Huit ans après La Permission de minuit, Delphine Gleize revient au documentaire. On avait beaucoup aimé Cavaliers seuls co-réalisé en 2010 avec Jean Rochefort à qui Beau joueur est dédié. Elle y suivait Marc Bertran de Belanda, ancien champion de saut d’obstacle. À 80 ans et physiquement diminué, cette forte personnalité transmettait sa passion et son art à un jeune prodige. Beau joueur et Cavaliers seuls ont en commun de poser un regard curieux et distancié sur le milieu sportif en privilégiant l’envers du décor.
Au début de l’hiver 2016, Delphine Gleize, installée dans le sud ouest depuis deux ans, se rend avec sa caméra au stade Jean Daugé où l’Aviron Bayonnais, fraîchement remonté en Top 14, l’élite du rugby français, chute lourdement face au Stade Français. Elle décide se suivre la vie du club pour le restant de la saison. « J’aime le rugby et les hommes qui se relèvent (…) ce match me donne envie de rester auprès d’eux » dit-elle dans une des rares interventions en voix-off (certaines paraissent trop écrites introduisant une affectation absente de l’image).
Bonjour tristesse
Delphine Gleize s’intéresse aux coulisses du club, là où le match se prépare, là où il se digère. Vincent Etcheto, manager sportif, a ouvert toutes les portes à la cinéaste si bien que le film nous fait partager la vie du groupe tant dans les vestiaires qu’à l’infirmerie, dans les moments forts comme dans les moments faibles. De la compétition, on ne verra que les tribunes, le bord du terrain, cet espace où les remplaçants, les blessés et l’encadrement technique assistent impuissants à une tragédie (on suit l’évolution du score en incrustation) alors qu’ils avaient préparé une épopée. Les moments faibles disent beaucoup de la vie du groupe, la camaraderie complice, la solitude de l’entraîneur, les discrètes chevilles ouvrières du club. C’est l’occasion pour la réalisatrice de s’attarder sur un joueur plongé dans la lecture de Bonjour tristesse, le roman de Françoise Sagan dont le titre sonne comme une funeste prédiction, ou de cadrer joliment les poteaux du stade avec, suspendue au-dessus, la lune, symbole d’un ballon imaginaire dont la trajectoire capricieuse se refuse à transformer les rêves en réalité.
L’art de perdre
En contrepoint aux images de célébration et de gloire qui accompagnent souvent les représentations du sport, le film s’intéresse à la défaite. L’équipe s’enfonce dans une spirale négative, perd les matches et la confiance, voit s’éloigner son objectif de maintien dans l’élite. Vincent Etcheto alterne un discours volontairement dur pour faire réagir son groupe et des mots optimistes pour le maintenir à flot. Tantôt il tente de piquer l’orgueil de ses joueurs, le discours sombre alors assez facilement dans les clichés virilistes, tantôt il cherche les mots de réconfort, de confiance et replace ses propos dans une logique de storytelling pour souligner le fait que ce sont eux qui écrivent les pages actuelles de l’histoire du club. Dans ces séquences comme dans les scènes de vestiaire après les défaites, Delphine Gleize filme au plus près les regards des joueurs. Fuyants, perdus, dans le vague, vides, médusés, ils traduisent assez formidablement l’impuissance et la détresse.
Plus lyriques se font les séquences musicales, notamment deux séances d’entraînement au son du Bang bang de Sonny Bono ou de My tunnels are long and dark these days de Asaf Avidan où les mouvements de jeu deviennent des chorégraphies aux tonalités funèbres.
« J’ai trouvé un titre pour ton film » dit un joueur à mi-saison en s’adressant à la caméra : « Les Misérables ». Récit d’une impossible reconquête, Beau joueur pose un regard suffisamment décalé sur le sport pour intéresser au-delà du cercle des amateurs. Il n’est pas nécessaire de connaître le rugby en détail pour apprécier ces 100 minutes d’une aventure humaine au cours de laquelle 35 hommes apprennent à perdre devant la caméra d’une femme.