BENEDETTA
Critique du film
Benedetta est sans aucun doute l’un des films qui aura le plus attendu mais aussi désiré son passage en compétition à Cannes cette année. Prêt depuis deux ans, les ennuis de santé de Paul Verhoeven puis la situation sanitaire ont contraint à l’attente le deuxième film de la période française du hollandais. S’il succède chronologiquement à Elle, toujours produit par Saïd Ben Saïd, c’est plus davantage la démesure de Showgirls, et le mysticisme de La chair et le sang qui reviennent à l’esprit. Ces deux aspects, la folie kitsch et une certaine idée du christianisme, vont jalonner tout le film en repoussant les limites qu’on croyait connaître de Verhoeven.
La folie, un mot valise un peu trop pratique pour définir un personnage qui est très difficile à cerner. Promise dès sa naissance à être une « épouse de Dieu », la petite Benedetta Carlini est une grande dévote. Elle se consacre à la prière, à ses missions, et surtout à l’amour qui la traverse depuis l’Eglise jusqu’à ses condisciples du couvent de Pescia, petite ville italienne. Dès son arrivée, un premier « miracle » se produit : une statue de la Vierge lui tombant dessus sans l’écraser alors qu’elle était en train de prier avec la Sainte. Ce mysticisme aigüe ne fait que s’amplifier avec le temps, allant jusqu’à des visions pendant ses rêves, scènes guignolesques où Jésus lui même vient à la rescousse de sa mariée, tranchant des têtes de son glaive vengeur.
C’est toute la mise en scène de Verhoeven qui semble habitée par la condition particulière de l’héroïne. S’il a pu montrer une outrance assez mémorable, comment oublier Kyle McLachlan nu entrant dans une piscine certie de néons fluos, qui ne préparait en rien de ce qui habite la mise en scène et les représentations de Benedetta. L’auteur semble ne plus avoir aucun filtre, délivrant une synthèse de ses obsessions sans retenir quoi que ce soit, dans une liberté totale. Scènes de latrines avec humour scabreux, narration d’incestes à répétition, sculptage d’un godemichet en bois avec démonstration à l’appui, le film ne s’arrête pas dans sa volonté de tout montrer, de tout tenter.
Rutger Hauer et son personnage de Martin dans La chair et le sang n’étaient animés que d’une foi sélective, cherchant des signes pour le guider sur sa route faite de pillages, de viols et de fêtes avinées. Le projet de Benedetta est bien différent, sa foi est absolue et purement chrétienne. Il n’est question que d’amour. Sur cette voie, le guide s’incarne en Bartolomea, parfaite Daphne Patakia, qui permet au spectateur de ne pas perdre le fil et de ne pas se perdre sur les chemins escarpés dessinés par le réalisateur de Turkish Delices. Si elle aime Benedetta, elle la repousse à plusieurs reprises à cause de cette folie qu’elle ne comprend pas. Tout comme nous, elle s’accroche à la raison pour ne pas se perdre dans les manifestations mystiques de la révérende mère.
Si le ridicule habite les rêves de Benedetta, il contamine également la vision de l’Eglise dépeinte dans l’intrigue. Le commerce des enfants, qu’on vend littéralement en versant de fortes sommes d’argent à leur entrée au couvent, n’a de comparaison que l’absurdité du personnage du nonce joué par Lambert Wilson. Le plaisir pervers que prend le réalisateur à égratigner cet émissaire du Vatican est délicieuse. L’utilisation du motif de la peste pour précipiter le nonce dans un pourrissement autant moral que physique est, à ce titre, également complètement jubilatoire. La maladie comme révélateur des âmes corrompues est un thème récurrent dans l’oeuvre de l’auteur, il aime en jouer pour torturer ses personnages par delà leur noirceur.
Plus surprenant encore, c’est la place donnée au corps qui, s’il est jugé comme le pire ennemi d’une religieuse au début du film, est montré comme un élément dont il ne faut pas avoir honte, célébré par une Benedetta totalement à rebours de ce type d’enseignement conservateur. Mais le film va encore plus en avant dans son exposé : c’est un couple de femmes qui est le symbole de cet amour qui irradie toutes les scènes. Benedetta demande même à son amante pour quelles raisons devraient elles ne pas assumer leur passion, comme s’il était naturel que deux nonnes consomment leur amour en un XVIIème siècle – qui ne reconnaît pourtant même pas la possibilité du lesbianisme.
Femme du Christ, Benedetta jouit et aime comme elle vit, dans la simplicité du discours originel du fondateur de cette religion, délestée du fardeau beaucoup trop lourd de l’Eglise traditionnelle. La folie du personnage importe alors peu, le ridicule de certaines scènes est également écarté avec facilité. Il reste une histoire dénuée de tout artifice, nu de prétentions, si ce n’est de présenter une âme pure et entière qui, si elle est mystique, est aussi et surtout la messagère du plus beau des sentiments qui devrait tous et toutes nous relier.
Bande-annonce
9 juillet 2021 – De Paul Verhoeven, avec Virginie Efira, Charlotte Rampling
Cannes 2021 – Compétition officielle