BIRD
À 12 ans, Bailey vit avec son frère Hunter et son père Bug, qui les élève seul dans un squat au nord du Kent. Bug n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer et Bailey, qui approche de la puberté, cherche de l’attention et de l’aventure ailleurs.
Critique du film
Huit ans qu’elle n’avait pas monté les marches du Grand Théâtre Lumière en compétition pour la Palme d’Or, dont la dernière participation lui avait valu son troisième Prix du Jury. Après son interlude documentaire (Cow) présenté en séance spéciale en 2021, elle revient ainsi en grandes pompes, fraîchement honorée du Carrosse d’Or – la veille, au Théâtre Croisette. Peu d’informations avaient filtré en amont, si ce n’est un synopsis succinct et quelques propos de la cinéaste dont un aveu : Bird a été le plus gros défi de sa carrière, tant elle a du sacrifier certaines séquences de son film lors de sa production.
Dès les premiers sons, dès les premières images, les oiseaux. Puis une jeune fille de 12 ans, Bailey, qui fait face à une mouette, qui marche vers elle, doucement mais sûrement. Un face-à-face déroutant, qui créé déjà la curiosité et déclenche une hypothèse précoce. L’enfant communiquerait-elle avec les oiseaux ? Celle-ci sera bien vite évaporée. Voilà que son jeune père, qui l’informe qu’il a une grande nouvelle à lui annoncer, vient la récupérer et la ramène chez eux, à toute allure sur leur trottinette électrique. La bande-son semble illustrer un peu trop facilement le propos : on a à faire à un parent juvénile assez rock’n’roll, bardé de tatoos et un brin tête brûlée. Mais ce serait bien réducteur.
Bug(s) & Birds
Sans cérémonial, Bug (le surnom donné à son père) lâche le morceau. Tout juste a-t-il présenté sa petite-amie fraîchement rencontrée qu’il l’informe qu’il l’a demandée en mariage et que la cérémonie aura lieu le samedi qui arrive. Face à la réticence de l’adolescente, qui semble bien plus raisonnable que lui, Bug se montre susceptible et même égoïste, la blâmant qu’elle lui gâche son bonheur. Dans ce chaos ambiant, au milieu de ce squat maculé de graffitis, la jeune fille donne l’impression de survivre et apparaît comme l’élément le plus stable du foyer – bien que son demi-frère se montre assez protecteur derrière ses faux-airs virils.
Bailey se reprend à observer le ciel, formulant peut-être inconsciemment le désir de s’envoler vers d’autres cieux, loin de ce taudis et de ce père en apparence très impulsif et égocentré, qui n’assume que ponctuellement son rôle d’adulte. Après une soirée un brin traumatisante, la jeune fille se réveille dans un champ. Quelques bourrasques de vent trop puissantes pour être réelles et voilà que Bailey se retrouve face à un drôle d’individu. Un homme à l’allure singulière (une chemise en lambeaux et une jupe longue démodée) et à l’attitude presque enfantine, doucement exubérante. Il se présente à elle, sans une once d’hostilité : Bird.
Comme le spectateur, la pré-adolescente est intriguée et finit par le prendre en filature, le cherchant régulièrement du regard, mais ne trouve pas les réponses à ses questionnements. Qui peut bien être cet homme qui n’a pas de téléphone portable, qui passe la majeure partie de son temps sur le toit de l’immeuble voisin et qui affirme être en quête de souvenirs d’enfance mais aussi de son père, dont il n’a plus de traces ? Viennent alors d’autres hypothèses : est-il bien réel ? Serait-il une représentation symbolique ? Un revenant ? Un ange gardien, peut-être ? Le film d’Andrea Arnold ne donnera jamais de réponses, mais distillera suffisamment d’éléments pour que chacun.e puisse livrer sa propre interprétation.
Tout ira bien
De retour en milieu urbain où elle a fait ses armes depuis Red road, après son épopée sauvage (American Honey) et son survival agricole (Cow), la cinéaste britannique reconnecte à ses problématiques fétiches, elle qui a grandi seule avec sa mère et reconnait volontiers qu’elle a eu une jeunesse sauvage. Dans cet environnement très défavorisé, elle surprend pourtant en injectant quelques éléments de surnaturel, qui ne manqueront pas de déstabiliser tant la proposition étonne pour ceux qui connaissent l’oeuvre de l’Anglaise. Elle intègre même un peu de candeur et une fantaisie inédite à son cinéma, comme pour adoucir le parcours d’apprentissage de sa jeune héroïne, déjà chargée de responsabilités injustifiées, alors qu’elle devient tout juste pubère.
Poursuivant une tradition de titres en un seul mot centrés autour de l’univers animalier, entamée dès ses premiers courts métrages Milk, Dog et Wasp, Andrea Arnold signe une surprenante fable sur le passage à l’âge adulte, esquissée avec sensibilité et conservant quelques mystères, qui assume sa singularité et ses effets spéciaux, lui conférant une dimension surnaturelle qui ne manquera pas de diviser.
Mais ce nouveau film possède la fougue et le coeur suffisamment généreux pour nous accrocher, autour de cette relation centrale fascinante qui donne son titre au film. Son imagination, qui lui permettait d’échapper aux frustrations de son entourage, se projette sur cet étrange et bienveillant vagabond (excellent Franz Rogowski, tout en grâce et en légèreté), qui lui offre une amitié devenant progressivement indispensable, alors qu’elle ne trouve pas le cadre affectif auprès de son père – et pas plus de sa mère, qui laisse ses demi-frère et soeurs livrés à eux-mêmes.
Le champ des possibles
Comme Abdel Kechiche et Ken Loach, celle qui nous a habitués à révéler de jeunes comédiens débutants (Katie Jarvis dans Fish Tank et Sasha Lane dans American Honey) met toute la lumière sur l’épatante Nykiya Adams, captant sa vulnérabilité, sa rage et sa combattivité pour en faire une jeune héroïne résiliante et diablement attachante, jusqu’à un épilogue d’une attendrissante maladresse, alors que son extraordinaire compagnon disparait presque comme il était apparu, perpétuant l’énigme qui l’entoure.
Alors, si de son propre aveu, Bird a été un énorme challenge pour son auteure, et si ce n’est peut-être pas son meilleur film à date, on ne peut que saluer cette volonté d’étendre sa créativité au-delà du réalisme social de son oeuvre passionnante, faisant de cette nouvelle réalisation une oeuvre indiscutablement généreuse et l’opportunité d’explorer de nouveaux horizons. Aucune raison de s’inquiéter, on en est convaincus : tout ira bien.
Réalisé par Andrea Arnold, avec Nykiya Adams, Barry Keoghan, Franz Rogowski