Black Flies

BLACK FLIES

Ollie Cross, jeune ambulancier New-Yorkais, fait équipe avec Rutkovsky, un urgentiste expérimenté. Confronté à une extrême violence, il découvre les risques d’un métier qui chaque jour ébranle ses certitudes sur la vie… et la mort.

CRITIQUE DU FILM

Assistant réalisateur dans les années 1990 (on lui doit notamment une collaboration avec Cyril Collard pour Les nuits fauves), Jean-Stéphane Sauvaire est un cinéaste difficile à définir et à identifier. Après des débuts dans le documentaire, Carlitos Medellin (2003), il a tourné tous ses projets à l’étranger, dans des genres assez différents, se faisant remarquer avec Johnny Mad Dog en 2008, primé à Un certain regard au festival de Cannes. Son nouveau film, Black flies, réunit Sean Penn et Taye Sheridan, pour les voir sillonner les rues de New-York en tant qu’infirmiers d’urgence patrouillant pour sauver des vies et rapatrier les plus blessés vers les différents hôpitaux de la ville. Cette dynamique du jeune « rookie » qui découvre un métier difficile aux cotés d’un vieux briscard cabossé, est une thématique éculée, beaucoup retrouvée dans le cinéma étasunien, notamment du coté de Training day (2001), ou A tombeaux ouverts de Martin Scorsese, film assez proche en terme de sujet.

Le film tout entier est une surenchère permanente où chaque situation doit être pire que la précédente pour créer un sentiment de crescendo dans l’oppression et la brutalisation d’un personnage dont on sait dès le départ qu’il ne pourra pas tenir le coup. Rien ne nous est épargné dans Black flies, ni l’esthétique « clipesque » syncopée, ni les passages obligés où le jeune loup apprivoise son mentor désabusé avec quelques petites blagues déplacées mais dans l’esprit de leur quotidien morbide. Quand Cross, joué par Tye Sheridan, finit son service, c’est pour prolonger le sentiment de bruit permanent dans des fêtes assourdissantes qui sont telles des extensions de la violence subie pendant ses nuits de travail. Cette omniprésence du bruit, couplée à une image au nombre de plans par séquence toujours plus important, rend le spectacle à la limite du supportable tant les moments de pauses sont rares et courts.

black flies

Le réalisateur n’a de cesse de superposer toujours plus de couches d’immondices, renforcées par la proximité de collègues complètement pourris par le milieu professionnel qui est le leur depuis trop longtemps. Le poncif de la destruction de la vie intime par ce travail éprouvant est bien sûr évoqué, comme un cliché qu’on jette au visage du spectateur. Là où le problème se corse encore plus, si cela était possible, c’est dans la représentation des femmes dans le film. Les rares personnages genrés au féminin sont des droguées, ou des rencontres d’un soir, avec une mention particulière à cette femme que fréquente Cross. Elle est tout juste nommée, ne porte jamais aucun vêtement, et ne semble être là que pour montrer la bestialité grandissante du personnage principal qui ne l’utilise que comme un exutoire à la folie qui commence à le contaminer.

Que dire du discours sur la vie et la mort et le tournant destructeur pris par certains de ces soignants qui préfèrent ne pas prodiguer d’attention plutôt que de prolonger la vie de personnes jugées inutiles ou trop en souffrance ? Cette « morale » administrée la larme à l’oeil est des plus nauséabondes, arrimée à l’idée que la ville, cette Babylone contenant tous les maux de l’humanité, serait responsable de la propagation d’une déréliction de la société. Dans Black flies, on patauge dans le sang, le vomi et toute autre sorte de déchets immondes, sans que jamais il n’en ressorte quoi que ce soit ni d’intéressant, ni présentant une idée de mise en scène. On se contente de nager tout au fond des toilettes en espérant en faire sortir une vérité, sans âme ni poésie. Juste une violence crue dont le cinéma ne ressort pas grandi.


3 avril 2024 – De Jean-Stéphane Sauvaire, avec Sean Penn, Tye Sheridan et Katherine Waterston


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