Black Medusa

BLACK MEDUSA

Nada mène une double vie. Pendant la journée, elle est calme, réservée voire mutique, mais la nuit, elle drague les hommes de Tunis. D’abord, elle les laisse la charmer pour mieux les tabasser…

Critique du film

Les premières minutes de Black Medusa, co-réalisé par Ismaël et Youssef Chabbi, nous laissent croire que nous nous trouvons dans un conte. Une voix de femme raconte une histoire, celle d’un homme tombé dans un trou très profond, sans qu’il se rappelle comment il en est arrivé là. Un carton nous annonce alors que cette histoire va nous être racontée en l’espace de neuf nuits, autour d’un même personnage, Nada, jeune tunisienne énigmatique. C’est une femme éminemment duelle : ses journées ressemblent à une stase où elle existe très peu.

Monteuse vidéo dans une petite société, elle est très effacée. Elle ne se révèle que la nuit par la sauvagerie qu’elle affiche une fois qu’elle a réussi à appâter un homme dans un bar. Le mode opératoire est toujours le même, elle se laisse aborder, elle leur laisse consommer son verre dans lequel elle a introduit une drogue, avant de se laisser conduire chez ce supposé amant d’un soir. Elle agit en prédatrice, rivalisant d’ingéniosité pour faire subir à ses proies d’horribles sévices, comme on peut le voir lors du tout premier meurtre particulièrement graphique.

On ne quitte dès lors pas vraiment le domaine du conte, mais celui-ci devient très noir, à l’image de la photographie, l’œuvre de Youssef Chabbi lui-même. L’image est si sombre qu’on peine par moments à distinguer l’action dans le plan, on aperçoit tout juste Nada accomplir son méfait, et disparaître avant que la nuit ne cède sa place au jour. Les réalisateurs opèrent un mélange des genres qui peut être déstabilisant de prime abord, on passe le jour d’une chronique sociale assez classique à une sorte de giallo qui pousse jusqu’à l’horreur la nuit, avec des aspects presque érotiques, surtout quand intervient le second personnage féminin Noura. Leur relation ambiguë permet d’apprendre plus de choses sur Nada. C’est pas ce biais notamment qu’on apprend la nature de son handicap. Le fait que se dévoile la surdité du personnage assez tard fait reconsidérer les premières scènes nocturnes. Nada évolue dans le silence, et communique très peu à cause de cela.

Black medusa

La nuit de la chasseuse

L’irruption d’un couteau ancestral, qui devient l’objet de prédilection de Nada pour ses crimes, apporte une dimension presque ésotérique au récit. Il gagne par son entremise une épaisseur supplémentaire, acquérant à la jeune femme une dimension presque mystique, voire même mythologique. Les motivations du personnage ne sont pas l’enjeu véritable du film. Noura parle des secrets de son amie, de sa face cachée, on pourrait parler de ses pulsions de meurtres qui se réveillent la nuit, orchestrés avec grand soin comme nous l’avons vu, selon un schéma bien établi. On devine un besoin de régler ses comptes avec les hommes, la nuit séparant drastiquement son univers féminin de celui du « camp opposé » qu’elle chasse sans répit. Bien qu’il soit question à un moment de la police, enquêtant sur cette mystérieuse serial killer sévissant la nuit à Tunis, cet aspect est vite balayé pour disparaître. Si Black Medusa navigue entre les genres, il n’est pas un film policier, et il échappe au réel, basculant de nouveau complètement dans le conte une fois le décompte des nuits atteignant sa fin.

Il ne reste plus alors qu’à attendre la conclusion de la belle voix qui reprend le récit du conte entamé, dévoilant l’absurdité de la vie, par l’entremise de sa petite histoire mélancolique et triste. Si le titre est facilement analysable, entre Méduse et Veuve noire, il ne faut sans doute pas trop intellectualiser non plus le déroulement de l’intrigue. La beauté du conte est aussi dans sa simplicité, dans ce qu’il contient de primal et de terrifiant.

Si le film est bien structuré, sa charpente en neuf parties étant un excellent fil conducteur, il manque parfois un peu de rythme, et on regrette que l’aspect diurne de l’histoire soit un peu sacrifié pour plonger tout entier dans la nuit. Il faut féliciter néanmoins l’excellent travail des deux auteurs, tant au niveau du montage que de la lumière, car si leur histoire tient debout c’est avant tout grâce à leur excellent travail plastique. Ils ont su magnifier la beauté de leur actrice, Nour Hajri, l’enveloppant dans des ténèbres qui la rende hypnotique et incroyablement fascinante.


D’Ismaël et Youssef Chabbi, avec Nour Hajri et Rym Hayouni.


IFFR 2021 // Disponible sur MUBI