BOYHOOD
Chaque année, durant 12 ans, le réalisateur Richard Linklater a réuni les mêmes comédiens pour un film unique sur la famille et le temps qui passe. On y suit le jeune Mason de l’âge de six ans jusqu’ à sa majorité, vivant avec sa sœur et sa mère, séparée de son père. Les déménagements, les amis, les rentrées des classes, les premiers émois, les petits riens et les grandes décisions qui rythment sa jeunesse et le préparent à devenir adulte…
Twelve years a child…
Nous savions que Richard Linklater était un homme d’idées et, parfois même, de génie. Nous avions été transcendés par Before Sunrise et Before Sunset, nous avions aimé son virage docu-fiction tandis que nous étions restés plus sceptiques devant certains projets expérimentaux (A scanner darkly). Mais nous savions aussi qu’il avait ce don rare et cette sensibilité précieuse à capter l’essence de la vie, à filmer quelques instants du quotidien pour en faire des moments de cinéma uniques et à traverser les décennies pour suivre le destin de ses personnages.
Un peu par hasard, nous apprenions il y a presque deux ans par le biais d’une interview d’Ethan Hawke (son fidèle ami et complice artistique) qu’il mettait en boîte depuis une dizaine d’années une oeuvre sur l’enfance intitulée Boyhood, prenant chaque année quelques jours pour tourner des scènes avec les comédiens rattachés à celle-ci. Cette opportunité inédite – forcément enthousiasmante – de voir passer un jeune homme de l’enfance à l’âge adulte pouvait laisser présager du meilleur mais aussi faire redouter le pire. Il existe des films que l’on attend et qui nous déçoivent, il en existe d’autres qui possèdent un potentiel énorme qui se révèle au final insuffisamment exploité. Heureusement, Boyhood ne fait partie d’aucune de ces deux catégories, tenant toutes ses promesses et nous emportant dans 2h45 de cinéma précieuses et inoubliables.
Le film s’ouvre sur un morceau que vous reconnaîtrez rapidement tandis que nous découvrons le jeune Mason. Allongé dans l’herbe et le regard perdu dans le ciel, il sera bientôt ramené à la réalité par sa mère (incarnée par l’attachante Patricia Arquette). Cette modeste scène d’ouverture en dit beaucoup sur le personnage principal. Nous le suivrons ainsi jusqu’à l’université, au fil des déménagements, des rencontres amicales et amoureuses, des amusantes chamailleries avec sa soeur et de ses expériences adolescentes.
Boyhood était dès le départ un projet ambitieux – pourtant réalisé à moindres frais – et ne nécessitait pas de grandiloquence dans son propos. La mise en scène s’efface devant le jeu des interprètes et le naturel de leurs interactions (l’écriture et la direction d’acteur ont toujours été la force des longs-métrages de Linklater). L’auteur le revendique lui-même : c’est un film qui ne comporte aucun rebondissement théâtral. Il nous raconte une histoire, nous embarque dans la jeunesse de Mason avec beaucoup de sensibilité et de justesse. On le voit grandir petit à petit, encaisser les errances sentimentales d’une mère aimante et protectrice, cohabiter avec sa soeur aînée, apprendre à connaître son père (Ethan Hawke) malgré les absences, boire sa première bière et évoquer timidement une « première fois » fictive pour garder la face, enfourcher son skateboard ou son vélo pour aller voir ses copains, se retourner pour observer en s’éloignant de son désormais ancien foyer… La fiction et la réalité semblent se rejoindre à l’écran alors que se succèdent les différents styles capillaires et vestimentaires de nos protagonistes et que grandissent les personnages de cette histoire imaginée progressivement par le cinéaste récompensé à juste titre à Berlin.
Oeuvre nostalgique jalonnée de références artistiques, le long-métrage de Richard Linklater fait appel à notre vécu, nos souvenirs, nos échecs. Le cinéaste nous offre presque trois heures d’un album-photo animé qui évite la recherche de l’inédit en racontant les étapes de l’enfance de Mason des premiers émois autour d’un catalogue de lingerie à la première rupture amoureuse. Comme dans tout album, il y a quelques incontournables : célébrations d’anniversaire, cartons de déménagements, périple familial, remise de diplômes…
Boyhood vous montre douze ans d’une vie, celle de Mason, mais aussi un peu de la nôtre. Tous ces passages obligés qui forment une personne, toutes ces expériences, heureuses comme malheureuses, qui construisent un être, sont mises en image avec beaucoup de justesse et de sincérité. Ces instants (de grâce) renvoient au vécu et à l’intime, ils touchent en plein coeur par leur force d’évocation et leur simplicité qui les rendent terriblement bouleversants.
Sur une bande-originale des plus réjouissantes réunissant quelques morceaux phares des Beatles à Arcade Fire, Boyhood déroule le fil de son histoire pour nous laisser aux portes de la vie d’adulte de Mason, à la croisée des chemins… Quelques regards échangés puis un sourire. La page se referme doucement alors que le fondu au noir s’accompagne des premières notes de Deep Blue. L’expérience fut inédite et intense, elle restera mémorable : Boyhood est le témoignage de notre enfance, une lettre d’amour à la vie et au cinéma.
La ficheBOYHOOD
Réalisé par Richard Linklater
Avec Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Lorelei Linklater, Ethan Hawke
Etats-Unis – Drame
23 Juillet 2014
Durée : 165 min
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Tu m’as vraiment donné envie! Vivement le 23 juillet ^^
Très jolie conclusion, pour un très joli film.
Merci beaucoup. Je suis content qu’il t’ait plu (presque) autant qu’à moi 🙂
<3
Je le vois demain, j’ai hâte 🙂
Au -delà de l’originalité du projet qui ne manque pas de culot, de foi, d’engagement, de solidarité à suivre en casting aveugle, une vie sur 12 ans pour en tirer un unique film il faut, comme pour toute histoire, une bonne histoire.
Si Linklater nous fait grâce d’éviter le mélo en ne montrant que les moments plutôt doux d’une vie à travers le regard assez nonchalant de son personnage principal en nous proposant des petits instants touchants de simplicité que l’évolution de la marche du monde n’ébranle que très peu (après tout, individuellement, c’est ce qui se passe) il loupe ce qui fait le sel d’un moment de cinéma plus fort que les autres. Comme si l’originalité de départ se suffisait à elle même.
C’est tjs plus satisfaisant et vertigineux que des fx pour des fx, de la surenchère vaine dans le spectaculaire, mais l’on reste aussi sur sa faim. Doinel, (voire les Before du même Linklater) plus artificiel, reste plus intéressant. Un joli petit film.
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