brief history of a family

BRIEF HISTORY OF A FAMILY

Dans la Chine de l’après-politique de l’enfant unique, une famille de classe moyenne accueille le nouvel ami de son fils unique.

Critique du film

Prix du public à la dernière Berlinale où il était présenté en section Panorama, Brief history of family démontre une fois de plus la qualité du vivier du nouveau cinéma chinois. Il est difficile de croire que c’est le tout premier long-métrage de Jianjie Lin, tant il fait preuve de maitrise dans ce geste foisonnant d’idées. Le cinéaste décide de scruter une famille chinoise aisée et de la confronter à un changement dans une vie réglée autour de la réussite sociale et un bouleversement dans la politique familiale de cet immense pays. En effet, la politique malthusienne de l’enfant unique, longtemps la marque de la maitrise d’une main de fer de l’État sur la natalité de sa population, a pris fin pour amorcer plus de liberté dans les choix familiaux. Sur cette toile de fond, l’auteur construit une histoire dont ressort un venin puissant, un poison qui dévore cette petite structure nucléaire.

Si le personnage principal est un jeune garçon de 16 ans aux origines très populaires, c’est au sein d’une famille d’un haut niveau social que nous le voyons évoluer, figurant une fuite que Shuo définit lui-même dans un dialogue qui est tout un programme. Il dit admirer le père de son ami Wei, pour sa pugnacité et sa capacité à s’être élevé au-delà de sa condition, ce par le travail et une envie d’apprendre dévorante. En cela, Shuo ne ment pas. S’il est raillé par ses camarades de classe, son seul but est de s’extraire de la pauvreté pour devenir précisément la personne qu’il souhaite être. Intelligent, charmant et cachant son jeu derrière un naturel d’une grande bonhomie, l’adolescent avance à pas feutrés sur le terrain laissé vacant par Wei, mauvais élève, paresseux et peu soucieux de son avenir tant tout lui a été fourni sur un plateau depuis l’enfance.


Ce deuxième enfant est la progéniture rêvée pour le couple qui a souffert de la limitation des naissances. Ce « nouveau fils » répond à leurs espoirs. Ils peuvent bâtir un avenir radieux. Shuo répond donc à la fois au désir d’enfant de cette famille, laissant en hors-champ toute la vérité sur sa famille, la mort de ses parents et les moyens employés pour se retrouver au bon endroit au bon moment. Pour représenter cette recomposition familiale, Jianjie Lin utilise une myriade de dispositifs visuels, que ce soit filmer à travers une vitre déformante qui grime les personnages, un effet de cible qui suit le protagoniste telle une cible, ou par l’utilisation de différents formats et jeux de caméra qui imprime un rythme parfait et une direction artistique de haut vol à Brief history of a family. Ce style si réussi donne également un aspect très proche du thriller au film, qui culmine dans son final, brutal dans son dénouement, comme un rappel à l’ordre tardif mais ferme.

On retrouve dans cette histoire le même motif que dans Pierce de la singapourienne Nelicia Low, celui de jeunes adolescents pratiquant l’escrime dans leur temps libre. Dans les deux cas, ce sport d’armes apparaît comme un exutoire à une violence qui se cache, se révélant uniquement par le biais du drame et de l’excès, dans une transgression sanglante qui accélère le récit en une fraction de seconde. Il est intéressant de noter que ces deux histoires prennent place en Chine, que ce soit en République Populaire pour Jianjie Lin, ou à Taïwan, la Chine nationaliste et grande rivale insulaire au régime de Beijing. Ces deux sociétés ont en commun cet aspect taiseux vis à vis de la violence, qui infuse pourtant chacun et chacune, ne se manifestant que quand il est trop tard et que la mort va poindre au centre du plan.

Dans Brief history of a family, le sang coule, mais comme un rappel de la filiation véritable, pointant du doigt celui qui cherche à usurper le lien indéfectible entre parents et enfant. C’est avec ce coup d’éclat que Wei retrouve sa place, sans qu’aucun mot ne soit prononcé, les paroles ayant cédé leur place à des actes d’une intensité tragique. Le cinéaste chinois réussit un film d’une grande qualité, tant plastique que narrative, d’une grande maîtrise dans l’art si complexe de la mise en scène. L’ambiguïté qu’il arrive à créer permet d’avoir un équilibre parfait sur lequel repose tout le film, jouant tel un funambule sur une ligne de crête des plus escarpées. De Bi Gan à Jianjie Lin, en passant par Li Ruijun ou la très talentueuse Jiang Xiaoxuan (To Kill a mongolian horse), la nouvelle vague chinoise continue à franchir des caps avec une virtuosité toujours aussi remarquable.


De Jianjie Lin, avec Zu FengXilun SunKe-Yu Guo


Festival de La Roche-sur-Yon