CAMILA SORTIRA CE SOIR
Lorsque sa grand-mère tombe gravement malade, la militante féministe Camila déménage à Buenos Aires avec sa mère et sa sœur. L’adolescente quitte un lycée public pour rejoindre une institution privée et traditionaliste. Avec l’aide de ses nouveaux camarades, elle va tenter de s’adapter à ce milieu hostile, duquel elle se différencie en tous points.
CRITIQUE DU FILM
Le long-métrage d’Inés Maria Barrionuevo commence par une course-poursuite en forêt. Une bande d’adolescents tente d’échapper aux forces de l’ordre à la sortie d’une manifestation. Déjà, la réalisatrice filme sa protagoniste avec un procédé qui deviendra récurrent au fil de l’œuvre : vue de dos en plan rapproché, Camila est une énigme. Un personnage dont on découvre les faiblesses et les nuances au fur et à mesure du film, sans jamais parfaitement la comprendre. Elle est vulnérable, puissante, imparfaite.
Interprétée par la géniale Nina Dziembrowski, Camila reste toujours hors de portée du spectateur, comme une connaissance dont on ne connaîtrait que la surface. Alors qu’elle s’apprête à quitter La Plata, une ville au sud de Buenos Aires de près de 200 000 habitants, la protagoniste se retrouve face au portrait de Damiana Kryygi, jeune Aché de la fin du XIXème enlevée par les colons et utilisée comme matériel d’étude racial. Camila s’identifie à elle, malgré leurs différences évidentes. Elle va, à son tour et malgré elle, rejoindre un monde avec lequel elle n’a aucun point commun.
DANCING QUEER
Si l’on peut reprocher à l’œuvre le manichéisme de son personnage principal et de ses compagnons, on lui pardonne assez facilement : Camila est une adolescente qui se découvre en même temps qu’elle découvre le monde qui l’entoure. À l’école, jupe longue et comportement calme. Le soir, tenues estivales et liberté infinie. Et ses nouveaux camarades l’accompagnent. Ils ne se dévoilent qu’en dehors des cours, à l’abri des regards des adultes paternalistes. Barrionuevo profite de l’absence de soleil pour dévoiler ses personnages. Le soir, éclairés par les lumières des boîtes de nuit, ces adolescents sont invulnérables. Ils assument leur sexualité, leur corps et leurs imperfections. Leurs vêtements, coiffures et maquillages sont moins stéréotypés, leurs opinions plus ouvertes : pour eux, la nuit est un long fleuve tranquille.
On regrette tout de même certaines scènes nocturnes trop longues et contemplatives, qui peuvent laisser de côté le spectateur et desservir le fort message politique du long-métrage. Plusieurs fois, il semble que le film n’a plus rien à nous dire, jusqu’à sa dernière demi-heure exaltante portée par un fort discours féministe. Ces lenteurs sont rattrapées par la photographie de Constanza Sandoval, particulièrement réussie pour filmer les corps en plans rapprochés. Sans jamais tomber dans le voyeurisme, l’œuvre cherche à tout connaître de ses protagonistes sans jamais y parvenir. Pas une erreur, mais une volonté évidente de la réalisatrice. La psychologie de ces adolescents ne nous sera jamais totalement accessible.
Les flous sont nombreux, et Camila est régulièrement montrée à travers une vitre ou un miroir. On observe son reflet en même temps qu’elle-même, qui n’est pas sûre de se connaître. Elle décèle ses failles, ses forces, ses envies, ses attirances. Sa potentielle bisexualité – dont elle n’est pas certaine – est traitée avec une normalité inspirante. Sensible et juste dans sa retranscription du passage à l’âge adulte, Camila sortira ce soir sert un propos politique actuel, dans un monde où les libertés des femmes sont constamment menacées.
GRANDIR POUR SURVIVRE
Dans Camila sortira ce soir, tous les adultes sont vides, affaiblis, parfois inhumains. Le directeur de l’école est trop strict sur les sujets futiles, laxistes sur les décisions importantes. La mère de Camila est brisée par la maladie de sa propre mère. Tous agissent comme si la jeune fille et ses camarades n’étaient pas capables de penser par eux-mêmes. Ces figures paternelles stéréotypées permettent de faire ressortir l’autre thématique majeure du film : la naissance de l’engagement politique.
Lorsque le drame intervient, personne ne tient ces jeunes adultes par la main. Ils doivent prendre leurs responsabilités, seuls, et s’entraider pour lutter contre une société qui va dans le mur. Porté par un message inclusif et progressiste, Camila sortira ce soir dresse le portrait d’un personnage vulnérable mais sûr de ses convictions, prêt à tout pour participer à la révolution féministe argentine qui doit urgemment avoir lieu. Puissant long-métrage sur l’émancipation et la découverte de soi, il soigne ses lenteurs en proposant un discours politique qui trouve son apogée dans les derniers instants.
Bande-annonce
7 juin 2023 – D’Inés María Barrionuevo, avec Nina Dziembrowski, Adriana Ferrer, Carolina Rojas
