CAPRICE
Critique du film
« Ne soit pas égoïste, soit infidèle », cette petite phrase proclamée avec innocence par Caprice, jouée par l’omniprésente Anaïs Demoustier (Bird People de Pascale Ferran, Une nouvelle Amie de François Ozon), plante le décor romanesque et presque extravagant du film d’Emmanuel Mouret, sorti dans les salles françaises en avril 2015. Huitième long-métrage du réalisateur marseillais, il le ramène dans un cadre plus personnel, Une autre vie son précédent essai, s’étant de beaucoup éloigné du reste de sa filmographie, tentant de s’immiscer dans une facture plus classique du drame, sans que l’on sorte convaincu de l’aventure.
Caprice est tout d’abord véhiculé par son auteur, Emmanuel Mouret de nouveau premier rôle, personnage omniprésent qui dirige à la fois ses acteurs mais aussi l’histoire qui se déroule. C’est son regard, ses mots et ses choix qui définissent chaque pas de la narration. Clément, instituteur passionné par son métier, est un père divorcé qui est toujours en quête de l’amour, rêvant d’une actrice de théâtre célèbre, Alicia, jouée par Virginie Efira, dont il ne rate pas un spectacle. Par un concours de circonstances celle-ci succombe à ses charmes, à sa grande surprise, et très vite une relation de couple s’installe entre eux, à une vitesse confondante pour ce grand timide qu’est Clément. Intervient alors un élément perturbateur en la personne de Caprice, qui donne son nom au film, jeune femme exaltée, actrice elle aussi mais d’un niveau beaucoup plus humble, folle amoureuse de Clément.
Les amours électifs
On retrouve dès lors un thème cher à Eric Rohmer, l’indécision masculine face au couple et au choix entre deux partenaires. La différence entre le cinéma de Mouret et de celui de Rohmer est caractérisée par la personnalité même de ses personnages. En effet, Mouret construit son alter ego toujours sur la même structure : un homme gentil, toujours un peu dépassé par les événements, charmant par sa gaucherie et son innocence. Les deux femmes qui apparaissent dans la vie de Clément sont comme deux faces d’une même pièce, comme deux stades différents d’un même continuum. D’une part l’actrice confirmée, le fantasme doté d’une féminité exacerbée, de l’autre la jeune femme candide mais sure de ses sentiments.
Si Clément semble subir tout ce qu’il lui arrive, il dégage une aura comique extrêmement rafraichissante qui permet au film, et comme toujours chez Mouret, de ne pas sombrer dans le drame ou la lourdeur. Il y a en effet un petit quelque chose de Buster Keaton dans ce personnage de clown blanc, gauche et malhabile – on pense notamment aux scènes avec son plâtre sans doute les moments les plus drôles vus dans une comédie française en ce début d’année_ ce qui donne un charme irrésistible au film très caractéristique du cinéma et de l’univers d’Emmanuel Mouret. Cette petite musique qui lui est propre, n’exclue pas la gravité du sujet, les vies des protagonistes étant bouleversées par les événements, et une certaine tristesse stagne entre Alicia et le personnage de Laurent Stocker, meilleur ami de Clément, du fait de leur amour impossible, nouvel élément d’indécision supplémentaire.
Bien que ces situations soient des rappels constants à des problématiques très concrètes, on est jamais dans la reproduction de la réalité chez Mouret, mais bel et bien dans de la fiction, dans du cinéma qui s’amuse à créer de toute pièce son propre jeu et ses propres règles. L’une d’entre elle, qui est un charme particulier, est l’amour du verbe et de la langue française. Les dialogues sont souvent surprenants, surannés, presque « exilés dans le temps » pour reprendre les mots de François Cavanna, mais tout à la fois passionnants. Si Clément est maladroit, le film, lui par contre dessine un portrait assez fin des relations amoureuses prises en étau par la présence d’une troisième personne, et en ce sens il réussit à traiter ce difficile sujet par le biais de l’humour, d’un certain décalage et d’une absence presque totale de jugement moral.
Au fil de sa filmographie Emmanuel Mouret continue d’explorer le sentiment amoureux sous toutes ses formes, avec un style et un regard unique en son genre, à la frontière de la comédie et du drame, avec un ton décalé résumé par un de ses dialogues ciselés où il définit les mauvais moments vécus comme des souvenirs, une prise de hauteur qui empêche toute aigreur, bannissant les excès qui n’ont pas leur place chez lui. On ne crie pas chez Mouret, on ne se donne pas en spectacle non plus, on affronte la vie et les situations avec un calme et une douceur qui nous font dire qu’il serait merveilleux de vivre dans un de ses films.