CARLA ET MOI
Ben a perdu sa foi et sa voix suite à la disparition de sa femme, ennuyeux pour un chanteur de synagogue. Sa vie est désormais rythmée par la préparation des enfants à leurs bar-mitzvah et les rendez-vous galants organisés par sa mère. Un soir, il retrouve l’excentrique Carla – son ancienne professeure de musique -qui le sollicite pour l’aider à préparer sa communion tardive. Petit à petit, Ben et Carla vont se rapprocher pour, enfin, trouver leurs voies.
Critique du film
Dans la vie, Ben (Jason Schwartzman) est un homme qui se fait souvent avoir. Sa personnalité anxieuse et sa naïveté inhérente font de lui la proie idéale des pièges de la vie. Son acceptation de la fatalité et son incapacité à dire non le rendent perméables aux divers plans de son entourage, qui a bien décidé de recaser ce jeune veuf encore fringant. À commencer par ses deux mères qui organisent à son insu des rencards avec des femmes qu’elles jugent dignes de lui (et surtout d’elles), ou encore le rabbin qui rêve de voir Ben avec sa fille, la jeune et jolie Gabby.
De son côté, Ben prend son temps et ne semble pas pressé de remplacer sa défunte femme. Il a surtout besoin de compagnie, de changer l’air de son quotidien étouffant. Sa rencontre fortuite avec la fantasque Carla rallume chez l’un et l’autre la flamme d’une existence devenue morose au fil des années. Ben et Carla commencent alors à se fréquenter quotidiennement, en tout bien tout honneur.
Comme l’amitié inattendue qui unit ces deux excentriques introvertis, l’équilibre de cette comédie douce-amère semble perpétuellement fragile, instable. Ce sentiment est souligné par le travail de Sean Price Williams comme directeur de la photographie. À l’aide sa belle pellicule grainée et de ses couleurs pastel, le réalisateur de The Sweet East capture ce sujet avec toute la sensibilité requise pour évoquer deux personnes confrontées de nouveau à un sentiment qu’ils pensaient enterré : l’affection. En plaçant sa caméra au plus près des personnages, celle-ci va même jusqu’à se substituer à la pudeur qui empêche nos deux amis de se rapprocher physiquement.
Cette pudeur et ce respect infusent d’ailleurs tout le film de Nathan Silver, qui s’appuie sur un scénario gentiment feel-good et bourré d’un humour juif new-yorkais irrésistible, celui qui rend comiques les situations désespérées. Une des qualités du film de Silver est de raconter l’histoire de deux personnages seuls et dépressifs pour finalement accoucher d’un film tout sauf larmoyant. Il est au contraire lumineux et plein d’espoir.
Bien que rejoignant un sujet universel et ancestral, la modernité de cette comédie romantique se trouve sur la manière d’aborder des sujets aussi risqués que la religion et le questionnement de sa foi, au milieu desquels sont abordées l’homoparentalité et les relations non-conventionnelles. Face à cela, l’apathie et l’absence de joie dans le regard de Schwartzman n’est pas sans rappeler Adam Sandler dans Punch-Drunk Love. On peut d’ailleurs trouver plusieurs points communs entre Carla et moi et le film de Paul Thomas Anderson. En effet, avec un mélange de drôlerie et de délicatesse, on y retrouve un autre introverti malmené par la société et pressurisé par une famille intrusive, qui finit par retrouver goût à la vie après avoir rencontré quelqu’un.
Filmé dans les couleurs de l’automne, ce film est aussi l’occasion pour Carol Kane de retrouver un rôle valorisant au cinéma après des années de projets, disons, alimentaires. Celle qui a marqué les années 70 de son visage gracile qu’on croyait tout droit sorti du cinéma expressionniste allemand compose une Carla complexe, avec ses certitudes et ses faiblesses, et montre qu’elle n’a rien perdu de son charisme à l’écran.
Bande-annonce
23 octobre 2024 – De Nathan Silver, avec Jason Schwartzman, Carol Kane et Dolly de Leon.