CASA SUSANNA
Dans les années 50 et 60, au fin fond de la campagne américaine, une petite maison en bois avec une grange derrière abritait le premier réseau clandestin de travestis, créé par la célèbre Susanna, qui a eu le courage de créer ce refuge que l’on a appelé Casa Susanna. Diane et Kate ont aujourd’hui 80 ans. À l’époque, elles étaient des hommes et faisaient partie de cette organisation secrète. Aujourd’hui, elles racontent ce chapitre oublié mais essentiel des débuts de la transidentité.
CRITIQUE DU FILM
Sébastien Lifshitz a l’art de raconter l’infime et l’important. De Les Invisibles (2012) à Adolescentes (2019) en passant par Petite Fille (2020), le documentariste a mis en lumière des histoires intimes, avec une sensibilité qui peut résonner en chacun de nous. À travers des images rares et des paroles précieuses, son nouveau long-métrage Casa Susanna fait le lien entre une histoire effacée et des combats plus brûlants que jamais.
Des héroïnes d’hier et d’aujourd’hui
« C’est une histoire secrète, une histoire qui aurait pu ne jamais être racontée. C’est une histoire qui ne fait pas partie de la grande Histoire. »
C’est en ces termes énigmatiques et solennels que Sébastien Lifshitz a présenté Casa Susanna en avant-première à la Cinémathèque française. Au début des années 2000, alors qu’il préparait son long-métrage Wild Side, le cinéaste a découvert un livre intitulé Casa Susanna et regroupant de multiples photographies d’hommes travestis dans les années 1950 et 1960 aux Etats-Unis. Quelques années plus tard, il a rencontré l’historienne de la photographie Isabelle Bonnet, qui a réalisé une vaste enquête pour retracer l’histoire de ces clichés mystérieux. C’est ainsi que l’idée du documentaire est née.
Devant la caméra de Sébastien Lifshitz, Katherine Cummings et Diana Merry-Shapiro font revivre l’histoire de la Casa Susanna, qu’elles ont fréquentée lorsqu’elles étaient des hommes. Dans le récit intime du chemin qu’elles ont parcouru jusqu’à elles-mêmes, la Casa Susanna apparaît comme un refuge, un lieu dont elles chérissent la mémoire. Leurs précieux souvenirs confiés face caméra sont ponctués d’images d’archives capturées en dépit des interdits de l’époque. Parmi les hommes élégamment travestis, on aperçoit la célèbre Susanna (ayant vécu une grande partie de sa vie sous l’identité masculine de Tito) et sa femme Maria, fondatrices de cette maison salutaire. Le film de Sébastien Lifshitz rend un très bel hommage à ce couple ainsi qu’à toutes les visiteuses de la Casa Susanna, héroïnes et pionnières, qui ont ouvert la voie des possibles pour elles et pour les générations futures.
Le droit d’être soi
Si Casa Susanna célèbre la mémoire d’un lieu lumineux et communautaire où régnaient la sororité et la tolérance, le film aborde aussi la douleur de vivre dans une société qui condamne la transidentité. Le film donne notamment la parole à Betsy Wollheim qui a découvert, après la mort de son père, que celui-ci fréquentait le réseau de travestis de la Casa Susanna. Elle évoque le souvenir d’un père parfois cruel, car il se détestait profondément. Bien des années plus tard, les mémoires qu’il a publiées sur sa vie à la Casa Susanna ont quelque peu apaisé Betsy et lui ont permis de comprendre la souffrance endurée. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’avoir une triste pensée pour cette relation qui aurait pu exister différemment si son père avait pu exprimer librement son identité et sa personnalité.
Casa Susanna donne à entendre des paroles intimes et généreuses, offertes comme un cadeau aux générations d’aujourd’hui et de demain. C’est avec un grand respect et une profonde émotion que le documentaire lève le voile sur ce refuge au pied des monts Catskills, dans l’État de New-York, qui a vu s’épanouir des âmes autrefois réprimées. En retraçant cette histoire effacée, Sébastien Lifshitz contribue à tisser une mémoire commune pour inspirer, aider et encourager tout à chacun à devenir soi.
Disponible jusqu’au 12/10/2023 sur la plateforme arte.tv et diffusé sur ARTE le 14 juin 2023