CATS
L’adaptation de la comédie musicale Cats. Une fois par an au cours d’une nuit extraordinaire, les Jellicle Cats se réunissent pour leur grand bal. Leur chef, Deuteronome, choisit celui qui pourra entrer au paradis de la Jellicosphère pour renaître dans une toute nouvelle vie.
Critique du film
Dans les rues humides de Londres, teintées d’un bleu et rouge lugubre, se traînent au sol des ombres filiformes sur une musique inquiétante. La caméra tremblotante s’arrête sur un sac abandonné sur le trottoir, tandis que les créatures, dont le visage mi-humain mi chat, se tortillent autour en chantant. Dès son ouverture, Cats provoque un sentiment d’inquiétante étrangeté, un vague malaise face au sérieux de son univers, que l’on regarde se dérouler sous des yeux ébahis.
Il n’aura fallu pourtant qu’une bande-annonce pour annoncer le désastre à venir, provoquant une hystérie collective sur les réseaux sociaux. Alors que Sonic avait subi un ravalement de façade, après les réactions désastreuses face à son design, Cats était déjà devenu malgré lui un meme, générant avec lui son lot de fantasmes. Pourtant, Tom Hooper (Danish girl, Le discours d’un roi) reste globalement fidèle à l’univers de la comédie musicale éponyme, dont le burlesque sexy et décalé en a fait un succès planétaire.
Inquiétante étrangeté
Il y a que Cats ne fonctionne pas, peu importe ce qu’il essaie d’entreprendre. D’abord, parce que l’oeuvre originale fonctionne sur scène, dans un décor de musical et qu’à l’écran, elle n’a rien de cinégénique. Au contraire, en transposant quasi-littéralement l’univers de Cats sur grand écran, le film perd du charme particulier qui en faisait sa recette. Les décors cartons-pâtes se muent en des CGI sans profondeur, imitant sans doute l’effet de la scène, mais perdant tout relief et ainsi, vitalité. Le film se pare malgré lui d’une atmosphère sinistre, aux CGI douteux dont l’on décèle parfois quelques glitchs en arrière plan, ainsi que des visages de seconds rôles mal animés et aplatis, accentuant le malaise. Certaines scènes semblent filmées de manière horrifique, comme cette scène d’ouverture ou même de cérémonie à la lune, laissant penser que le film serait conscient de la matière chaotique qu’il a entre les mains.
Les costumes sur scène dissimulent l’humain pour se fondre dans le personnage nécessite une suspension consentie d’incrédulité. L’adaptation filmique de Cats fait disparaître la frontière entre l’interprète et le personnage, effaçant ainsi toute incrédulité et provoquant une large confusion. Des chats au visage humain, parfois habillés de manteaux de fourrure, avec de belles manucures. En somme, des chats déguisés en humain. Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans ces corps, dont les perspectives changent constamment, trop grands ou trop petits par rapport au décor, et qui bougent de manière élastique. Des créatures sans logique qui empruntent aux mouvements des chats, miaulant, se frottant les uns aux autres, et aux humains, dansant, chantant, parlant, marchant sur deux pattes ou bien rampant au sol. Le film ne tranche jamais, et l’on sent un frisson d’angoisse parcourir l’échine à mesure que le métrage avance.
Au-delà de son esthétique de mauvais goût, Cats ne raconte rien et laisse ses spectateur.ice.s sur le bas-coté. Derrière les innombrables numéros qui s’enchaînent – le film se dispense de tout dialogue non chanté -, on perçoit une vague histoire de bal, d’un méchant très méchant, de réincarnation et de cérémonie vers l’au-delà. On ne retient pas grand chose, parce que le film n’a pas grand chose à raconter. Pourtant, on ne peut détourner les yeux de l’écran, comme subjugué par un naufrage cinématographique dont l’on est à la fois témoin et victime.
Body Horror
On ne comprend pas trop comment un tel casting s’est retrouvé là-dedans. Idris Elba aux yeux un peu trop verts qui, sous son épais manteau de fourrure, révèle une combinaison noire moulante à poils court, Judi Dench au regard perdu ou Ian McKellen et sa tirade conservatrice à l’encontre des jeunes, sont engloutis derrière des CGI indigestes. Une bande de chats bizarrement en chaleur, se frottant et se remuant frénétiquement contre tout ce qui bouge, se grattant compulsivement et sans raison apparente les parties intimes. Des chats aux poitrines volumineuses qui se déplacent dans des positions langoureuses, contribuant encore une fois au malaise ambiant.
Cats a de belles musiques, joliment interprétées par Francesca Hayward, issues du musical, et c’est sans doute tout ce qu’on lui retiendra. Cats relève de l’accident industriel, créant l’exact effet inverse de ce qu’il entreprend. Un objet paradoxal qui provoque tout un lot de sentiments contraires, allant de la fascination à l’effroi en un battement de cils. Et on ne parle pas des plans de morve sur le visage de Jennifer Hudson, de l’hypersexualité de Jason Derulo et des cafards majorettes à tête humaine qui se font dévorer sans pitié. On ne sait pas comment ce film existe, ni à qui il s’adresse véritablement. Aux fans du musical ? Aux spectateur.ice.s avides de curiosité ? Le film est vendu comme un film de Noël, on imagine mal emmener ses enfants voir des chats dont la sensualité revendiquée est à elle seule un argument pour, justement, ne pas les y emmener.
Cats achève ainsi une décennie de cinéma, et en est sans doute la synthèse la plus probante, entre les progrès de la motion capture, les remakes sans originalité, les memes de chat et le poids des réseaux sociaux dans le marketing cinématographique. Cats en tire le meilleur, et surtout le pire pour un résultat indigeste, mais dont l’existence demeure résolument fascinante. Aucun doute que le film trouvera son public et fera parler de lui. La preuve en est.
Bande-annonce
25 décembre 2019 – De Tom Hooper, avec Ian McKellen, Idris Elba, Taylor Swift…