CIVIL WAR
Dans un futur proche où les États-Unis sont au bord de l’effondrement et où des journalistes embarqués courent pour raconter la plus grande histoire de leur vie : La fin de l’Amérique telle que nous la connaissons.
Critique du film
Tout d’abord romancier, adapté par Danny Boyle dans La Plage (1999) avec Leonardo di Caprio, Alex Garland s’est fait un nom au cinéma avec une poignée de films, depuis 2015 et Ex Machina. Versé dans le cinéma fantastique et d’épouvante, c’est avec une uchronie qu’il installe son nouveau film Civil War, dont le titre en est également le menu. La possibilité d’une nouvelle sécession hante le territoire nord-américain, dont l’immensité attise les convoitises, notamment celle d’un pouvoir autoritaire et fascisant qui provoquerait un schisme dans l’unité nationale de ce pays fédéral. Le film se signale dans l’immédiateté avec laquelle il entame son histoire ; point de cartons explicatifs ou de longs monologues en voix-off, tout semble clair très vite. Des journalistes hantent le territoire de ce qui fut les Etats-Unis d’Amérique, pour retranscrire ce qui semble être les derniers instants d’un conflit qui déchire ce pays.
New-York est le point de départ de ce qui va être un road-trip en trompe l’oeil : tout laisse à penser que l’itinéraire suivi par la petite troupe composée de deux photographes et deux reporters va aboutir au graal représenté par l’interview du président de l’Etat fédéral mourant, le dernier avant sa chute. Mais tel n’est pas le projet du cinéaste, plus intéressé par l’état de déréliction de la société américaine, rendue à son état originel, à savoir une lutte aux frontières ses connaissances, dans un abandon du droit qui a tout du far-west et de son esprit libertarien. Xénophobie, isolationnisme, tout y passe dans l’éventail du repli sur soi qui caractérise une certaine idée de ce vaste pays. Tantôt zone de guerre impitoyable, mais aussi villes ignorant le conflit pour se concentrer sur elles-mêmes, on retrouve cette étrangeté aux marges du monde tant représentée dans le cinéma fantastique américain.
Seul visage connu, Kirsten Dunst porte ce projet et, dans son rôle de photographe, elle en est le témoin, impitoyable et presque déshumanisé. Il lui faut donner des images et des visages au chaos, pour laisser à d’autres le rôle de décrypter ce qu’il se joue, et laisser libre cours à une narration qui n’est plus de son ressort. Garland s’amuse à créer des doubles dans le film. La photographe aguerrie trouve ainsi une version plus jeune d’elle-même, qui lui rend son humanité, mais in fine lui coûtera sa lucidité et son instinct de survie. D’une certaine façon, les deux autres compagnons de route de l’histoire sont également deux versions d’un même archétype, le journaliste itinérant risquant sa vie pour retranscrire ce qu’il se déroule au plus près du théâtre des opérations. Chaque personnage comprend son lot de drame, dans une mise en abime de leur profession de la recherche de la vérité.
On pourrait reprocher au film d’être trop cru et par moments trop vide, complaisant dans sa manière de regarder le conflit sans jamais l’investir de sentiments ou d’un regard propre à en prendre la mesure. Pourtant, Alex Garland réussit avec beaucoup de finesse à sous peser chaque instant, dans leur gravité et leur tension dramatique implacable. L’aboutissement de ce voyage entamé à New-York, qui finit dans la capitale Washington, ne peut amener que la mort, qu’elle soit individuelle et collective, dans une haine de soi qui émane de ces troupes qui ne sont pas là pour négocier mais bien pour exécuter. Ce portrait d’une guerre fratricide, ou le politique semble mis sous l’éteignoir, est froid et sanglant. Il n’y a plus que deux étoiles sur le drapeau américain, comme si toutes les autres avaient fui pour ne pas assister à la tragédie de cette perte de valeur.
Il est amusant que ce soit un britannique qui dissèque aussi bien le drame qui vit au cœur même des Etats-Unis d’Amérique, comme si l’ancien colonisateur était l’acteur le plus lucide de ce cancer originel qui ronge ce pays. Ce n’est ni plus ni moins que la tentation du fascisme, dans toute sa brutalité, que regarde Alex Garland, et la réponse non moins violente qui est assénée pour s’en prévaloir.
Bande-annonce
17 avril 2024 – D’Alex Garland, avec Kirsten Dunst, Wagner Moura et Caelee Spaeny.