COBWEB
Séoul, 1970 : le réalisateur Kim souhaite refaire la fin de son film « Cobweb ». Mais les autorités de censure, les plaintes des acteurs et des producteurs ne cessent d’interférer, et un grand désordre s’installe sur le tournage. Kim doit donc surmonter ce chaos, pour achever ce qu’il pense être son chef-d’œuvre ultime.
Critique du film
Babylon, The Fabelmans, Empire of Light… Le début de l’année 2023 a eu son lot de « lettres d’amour au cinéma » de la part de cinéastes reconnus, Steven Spielberg en tête. Alors que la fin d’année approche, l’un des plus grands réalisateurs contemporains du cinéma coréen nous livre sa propre vision avec Cobweb – Ça tourne à Séoul. Présent pour la première fois à Cannes depuis Le Bon, la Brute et le Cinglé il y a 15 ans, Kim Jee-woon propose un long-métrage déjanté mais touchant. Cette satire sur le cinéma, autoportrait à peine déguisé (le protagoniste s’appelle lui aussi Kim), nous montre l’avancée timide d’un réalisateur dans le septième art. Quasiment déifié par ses acteurs principaux, des réalisateurs aux comédiens de second plan en passant par les critiques, le cinéma semble être intouchable pour Kim Ki-yeol, loin d’avoir les épaules de son maître Shin.
Le réalisateur de J’ai rencontré le diable et Deux sœurs, habitué des thrillers et des films noirs, fait du personnage central un cinéaste raté, lui aussi obnubilé par la violence et l’horreur. Ce réalisateur – interprété par un Song Kang-ho en grande forme – est prêt à tout pour faire de Cobweb son chef-d’œuvre. Cobweb, c’est le nom du film dans le film (dont le titre original est également Cobweb). Et comment faire un chef-d’œuvre ? En changeant la fin de son film, pour en tirer une morale si profonde que les spectateurs n’auront d’autres choix que se lever pour applaudir. Et comment faire une fin parfaite ? En réalisant un plan-séquence, bien sûr, qui représente le Saint Graal du septième art selon Kim, la quintessence du cinéma.
C’est en partant de ce postulat que Kim demande à tous ses acteurs de revenir pour un jour de tournage. Un jour pour tourner des dizaines de scènes, rien qui puisse alerter ce cinéaste frappé par un éclair de génie, un message sacré venu de son mentor. Mais cette fin féministe et avant-gardiste alerte les autorités qui menace de censurer le film (nous sommes en 1970, et la censure est partout en Corée du Sud). Kim doit donc redoubler d’attention pour les empêcher de lui mettre des bâtons dans les roues, lui qui s’apprête à devenir un cinéaste adoubé par les critiques qui, jusqu’ici, se moquent ouvertement de lui.
Juste des images
Avec cette mise en abime très classique (la réalité est en couleurs, et le film dont on voit de longs extraits est en noir et blanc), Kim Jee-woon nous livre une œuvre emplie de modestie et d’autodérision. Grâce à un Song Kang-ho majestueux, profondément touchant lorsqu’il n’est pas drôle, Kim Ki-yeol est un personnage auquel on s’attache vite. Au bout de quelques minutes, le désir de le voir réaliser un chef-d’œuvre est omniprésent. Et tout est bon pour y parvenir : louer un bâtiment dans le dos des autorités, les droguer lorsqu’elles s’apprêtent à tout gâcher, faire jouer des producteurs pour combler le manque d’acteurs… Cobweb est un joyeux bordel. Et le cinéma aussi, selon Kim Jee-woon.
Le cinéaste utilise son protagoniste et ses délires obsessionnels pour démystifier un art glorifié. Kim Ki-yeol fait tout pour concrétiser son idée, mais se rend rapidement compte de la complexité de la chose. Car pour faire un film, on avance à tâtons, en ayant une certaine idée d’où l’on va sans savoir comment y parvenir. Le septième art est un rassemblement de personnes pas vraiment certaines de comprendre à quoi elles servent, mais persuadées de servir quelque chose de plus grand qu’elles. Cobweb fait la part belle aux petites mains du cinéma, non sans leur adresser quelques critiques à ces dernières. Une actrice est à deux doigts de l’arrêt cardiaque à cause de sa phobie des araignées, un second rôle de détective se prend tellement au jeu qu’il enquête sur le plateau et les histoires d’amour et de sexe pèsent sur le tournage.
Et le résultat de tout cela : un film très drôle certes, mais surtout attendrissant. Sans livrer le chef-d’œuvre de sa carrière – mais Cobweb donne le sentiment de ne jamais avoir eu cette prétention – Kim Jee-woon apporte sa pierre à l’édifice en nous montrant son rapport au cinéma. Certains dialogues sont mémorables, et plusieurs plans également. La dernière demi-heure, qui constitue la partie la plus chaotique du long-métrage, est dotée de l’une des séquences les plus fortes du cinéma de Kim Jee-woon. Le tout n’est pas particulièrement inventif, mais d’une maîtrise remarquable. Acteurs, rythme, photographie et humour fonctionnent à merveille dans ce qui est l’un des films les plus drôles et absurdes de l’année.
Bande-annonce
8 novembre 2023 – De Kim Jee-Woon, avec Song Kang-Ho, Im Soo-Jung, Jung-se Oh
Cannes 2023