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CONFESSIONS D’UNE ÉPOUSE

Une jeune femme comparaît devant un tribunal pour avoir tué, dans un accident de montagne, son mari, un homme dur et bien plus âgé qu’elle. Deux éléments ont été aussi prépondérants : l’amour qu’elle portait à son jeune collègue Koda et son mariage malheureux. 

Critique du film

Le cinéma de Yasuzō Masumura nous revient depuis deux ans au rythme des restaurations de ses films majeurs. Après L’Ange rouge et Tatouage, le Festival Lumière propose cette année trois nouvelles pépites, bientôt disponibles en salle et en vidéo : Confessions d’une épouse, Passion et La Bête aveugle

L’épouse du titre de ce film de 1961, c’est Ayako Wakao, présente dans 19 autres longs métrages de Masumura. Voici l’une des plus belles collaborations du cinéma mondial entre un·e cinéaste et un·e comédien·ne. D’une beauté sidérante, Wakao aura joué devant la caméra de Masumura toutes les couleurs de la violence, toutes les douleurs de la condition féminine, toutes les chaleurs de la passion amoureuse. L’épouse, c’est donc elle, Ayako, jugée pour le meurtre de son mari dans les conditions extrêmes d’une sortie d’escalade qui tourne au drame vertical. Encordés ensemble, l’épouse et le mari flottent dans le vide, retenus par la seule force de l’amant arrimé à un rocher quelques mètres plus haut. Prise dans un infernal dilemme, Ayako coupe la corde. Instinct de survie ou crime prémédité ? C’est tout l’enjeu du film et du procès qui commence dans l’effervescence journalistique, l’occasion pour Masumura d’une entrée en matière étourdissante. Plein écran, la caméra d’un télé-reporter dont le cinéaste épouse le mouvement circulaire, accompagne l’arrivée devant le tribunal de la voiture qui y conduit l’accusée. Masumura opère tout en élégance un dédoublement du regard qui sera à l’oeuvre au long du film : le double regard constitutif d’un couple, celui de l’accusation et de la défense, de la justice et de la société, des maîtres et des domestiques, du cinéaste et du spectateur… 

Car la grande affaire de Confessions d’une épouse, c’est la mise en scène. Il y a chez Masumura une volupté du plan, un usage quasi maniaque du surcadrage qui donne lieu à une litanie d’emboîtements dans lesquels semblent enfermés les personnages. Même dans l’espace illimité de la montagne, les protagonistes se retrouvent enchaînés. Seule exception : une escapade à la mer des amants délivrés, marchant main dans la main (quand même) dans le reflux des vagues. Volontiers allégorique, la mise en scène de Yasuzō Masumura se régale des espaces confinés du tribunal ou d’un appartement, dans lesquels elle invente des contrechamps que le champ initial semblait condamner. Confessions d’une épouse glisse ainsi des angles morts de la vision aux secrets de la conscience, ainsi ce sac à glaçons suspendu au-dessus de la tête d’Ayako, couchée sur son lit de torture morale, rappelle t-il la pendaison des corps dans le gouffre de la vallée autant que la corde coupée symbolise la corde au cou que l’on convoque pour définir les liens du mariage (forcément malheureux). 

Plus le film avance et plus la décision de justice apparaît nécessaire (la société se doit de dire son fait) mais pas suffisante. Masumura joue de la profondeur de champ pour représenter les magistrats de manière périphérique, soit en amorce soit flous au second plan. Qu’elle soit condamnée ou acquittée, un seul regard compte pour Ayako, celui de Koda de plus en plus assailli par les scrupules. L’amant présumé est lui aussi en instance de mariage. Sa fiancée vient témoigner en faveur de l’accusée et la scène qui suit est sublime. Prête à repartir dans son automobile, Koda accourt pour la remercier mais il se trompe sur ses intentions. La caméra est à mi-portière, Rye se penche sur le volant, désespérée, le cadre de la vitre qu’elle a baissé est un sas de décompression, ses gants blancs accrochent le volant, la grâce de ce plan n’a d’égale que la désarroi d’un couple que se sait condamné. 

Confessions d’une épouse est la tragique histoire d’un sacrifice, Ayako rejoignant ainsi la geisha de Tatouage ou l’infirmière de L’Ange rouge, mais c’est surtout une impossible passion transcendée par la grâce de Ayako Wakao et la force d’évocation d’un cinéaste inspiré par la géométrie des sentiments. 


Festival Lumière 2024


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