CONVERSATION SECRÈTE
Harry Caul, catholique introverti et secret, est un grand spécialiste de la filature engagé dans une mission pour suivre un couple et enregistrer leurs conversations. Une fois sa mission accomplie, il découvre en écoutant son enregistrement que le couple est en danger de mort. Se souvenant d’une précédente mission au cours de laquelle une famille avait été tuée, il est pris dans un dilemme moral qu’il ne parviendra pas à surmonter.
Paranoïa activity.
Sorti en 1974, Conversation Secrète a tout du thriller d’espionnage typique de son époque : tourné en 1972, année du scandale du Watergate (la découverte d’un dispositif d’écoutes illégales aura la peau du Président Nixon, obligé de démissionner), le film de Francis Ford Coppola fait partie de cette longue série de films paranoïaques des années 1970, aux cotés de Klute et À cause d’un assassinat de Alan J. Pakula, Les Trois Jours du Condor de Sydney Pollack ou L’invasion des Profanateurs de Philip Kaufman.
Mais la véritable référence de Coppola est Blow Up de Michelangelo Antonioni, sorti en 1966 (et Palme d’Or 1967). Année durant laquelle Coppola a commencé à écrire ce qui deviendra plus tard cette Conversation Secrète, qui rend à plusieurs reprises hommage au film de l’Italien. Pour aller encore plus loin, on pourra même déceler dans le film de Coppola des éléments qui préfigureront le Blow Out de Brian De Palma, sorti en 1981, et qui lui aussi s’inspire directement de Blow Up.
L’obsession de la mort
Antonioni en 1966 avait David Hemmings, Coppola en 1972 a Gene Hackman. Un immense comédien qui trouve ici l’écrin parfait pour son jeu tout en nuances, en incarnant Harry Caul, un homme discret, sans personnalité et aux vêtements aussi ternes que la vie qu’il mène. Un homme solitaire et obsédé par son travail, fréquentant une femme à qui il ne dit rien et accompagnant au saxophone un groupe de jazz diffusé sur magnétophone. Un homme qui, au détour d’une écoute a priori anodine, pense mettre au jour une conspiration pouvant mettre en danger de mort un couple adultérin. La mort, c’est également ce qui obsède Caul, rongé par la culpabilité après qu’une de ses missions passées a coûté la vie à toute une famille.
Ce qui intéresse avant tout Coppola ici, ce n’est pas tant le complot meurtrier que tente de déjouer son personnage principal, que la psyché d’un homme, son obsession pour la vérité et sa lente plongée vers la folie à mesure qu’il découvre la signification cachée de cette conversation. Et la mise en scène de Coppola est en symbiose totale avec son sujet. La grandeur opératique du Parrain n’a ici pas lieu d’être, il s’agit davantage de suivre avec précision les gestes méticuleux de Harry Caul que son métier exige.
Vingt minutes d’épouvante
Les cadrages sont précis, les mouvements de caméra réduits au strict minimum, et pourtant cette réalisation n’en est pas moins impressionnante tant elle est parfaitement adaptée à son sujet. Difficile également de passer sous silence la prestation de John Cazale en collègue de Harry Caul. Cazale ou l’acteur à la filmographie intégralement constituée de chef-d’œuvres. Une carrière immaculée, malheureusement due à sa disparition prématurée à l’âge de 43 ans en 1978 – juste après le tournage de Voyage au bout de l’enfer.
On est donc face à un véritable travail d’orfèvre, magnifié par la photographie de Bill Butler – que l’on retrouvera quelques années plus tard sur Les Dents de la Mer – et la partition musicale de David Shire, dont le thème au piano et à la mélodie entêtante évoque à la perfection l’isolement et la mélancolie de Caul, avant de se faire plus atonale et inconfortable à mesure que le personnage perd peu à peu le sens de la réalité. Une progression qui culmine dans ses vingt dernières minutes, qui donnent à voir ce qu’aurait pu donner un film d’épouvante signé Francis Ford Coppola. Et autant dire que l’on n’aurait pas donné cher de nos caleçons s’il s’y était vraiment attelé, tant ces vingt minutes sont incroyablement angoissantes et anxiogènes.
S’en dégage une atmosphère lourde, irréelle et quasiment cauchemardesque, traversée de quelques visions purement horrifiques (le sang débordant d’une cuvette de toilettes), marquant durablement un spectateur qui devient par là-même presque aussi paranoïaque que le personnage du film, remettant en question la réalité des événements dont il est le témoin.
Une Palme indiscutable
Et le plan final de nous laisser face à un Harry Caul définitivement seul, dont on se demande avec une pointe d’amertume comment il pourrait retrouver un semblant de stabilité mentale. C’est désespérant et brillant à la fois. Dans l’histoire du Festival de Cannes, on sait que certaines Palme d’Or prêtent encore aujourd’hui à discussion, que ce soit par rapport à leurs qualités intrinsèques ou les raisons (politiques ou commerciales) pour lesquelles ce prix prestigieux leur a été remis.
Rien de tout ça avec Conversation Secrète, authentique chef-d’œuvre signé par un cinéaste alors âgé d’à peine 35 ans, à l’apogée de son art et qui s’apprête à asseoir encore un peu plus sa domination sur le monde du cinéma avec ses deux films suivants : Le Parrain 2 (qu’il tournera dans la foulée) et Apocalypse Now. Ce dernier vaudra d’ailleurs sa seconde Palme d’Or au réalisateur italo-américain, au prix d’une quantité incroyable de difficultés. Mais ceci est une tout autre histoire.
La fiche
CONVERSATION SECRÈTE
Réalisé par Francis Ford Coppola
Avec Gene Hackman, John Cazale…
Etats-Unis – Drame, thriller
Sortie : Juin 1974
Durée : 113 min