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CRASH

James et Catherine Ballard, un couple dont la vie sexuelle s’essouffle quelque peu, va trouver un chemin nouveau et tortueux pour exprimer son amour grâce aux accidents de voiture. A la suite d’une violente collision, ils vont en effet se lier avec des adeptes des accidents…

Carcasses

Adapté d’un roman de James Graham Ballard écrit en 1973, Crash se situe dans la filmographie de David Cronenberg entre M Butterfly (1993), magnifique film qui connut un échec financier et critique totalement injustifié, et eXistenZ (1999), dont l’univers décrit renvoie à celui de l’écrivain Philip K . Dick. L’oeuvre de J.G. Ballard, très sombre et très influente, dépeint souvent (notamment dans La Foire aux atrocités et la trilogie de béton, initiée par Crash) des expériences extrêmes et des personnages dont la respectabilité et la normalité apparentes masquent des perversions sexuelles et une violence paroxystique. Ballard s’est également intéressé à William S. Burroughs, l’auteur de Junky et des Garçons sauvages et écrivain que David Cronenberg adapta en 1991 avec Le Festin Nu.

Dans Crash, pas de compassion de la part des personnages pour les blessés, les accidentés. On s’émeut plus facilement devant une carcasse de voiture qui a perdu toute sa superbe, pour n’être plus qu’un amas de tôle froissée. Et quand on assiste à un drame de la route, si on s’assied un instant à côté d’une victime, ce serait moins pour lui venir en aide, que pour jouir de la vision d’un visage ensanglanté et de chairs labourées par le bitume et le métal. Ou on prend des photos en comparant le sinistre à une œuvre d’art. James Ballard lui-même (pas l’auteur mais le personnage principal puisqu’il se nomme comme son créateur) ne semble guère affecté de la violence que sa femme subit dans une voiture qui passe à la laverie automatique. Quant au Docteur Helen Remington, le deuil de son mari ne semble pas l’affecter outre mesure. Lors des deux étreintes qui ouvrent le film, les amants ne se sont pas face. Ballard et sa compagne se regardent rarement. 

Cette extrême froideur des personnages, parfaitement restituée par la photographie de Peter Suschitzky (11 collaborations avec le réalisateur canadien) et la partition envoûtante d’Howard Shore (un autre fidèle de l’univers de Cronenberg), n’enlève rien à la fascination morbide qu’on éprouve pour cette histoire incroyable d’une recherche mortifère, malsaine. Mais de quelle recherche s’agit-il ? De l’orgasme ultime ? De la mort ? Ou d’échapper à celle-ci, à travers des reconstitutions d’accidents célèbres. Evénements souvent liés à un certaine mythologie nord américaine (James Dean, Jayne Mansfield). Mythologie de la voiture (lieu d’ébats sexuels adolescents furtifs, mais aussi liés à la transgression ou à la violence). Le personnage de Vaughan conduit le même modèle de voiture (Une Lincoln) que celle qui transportait Kennedy lors de son assassinat à Dallas. Et il rêve de conduite une voiture réellement accidentée. Les personnages vouent un culte  fétichiste aux accidents et aux cicatrices. 

On retrouve aussi le thème de la fusion entre la chair et un objet extérieur. Ici la tôle d’un avion ou d’une voiture. Et celui de l’attirance pour les blessures, les plaies béantes qui couvrent les jambes de Gabrielle ressemblant à des vulves que parcourt la bouche de Ballard. L’excitation sexuelle des personnages naît à plusieurs reprises de la souffrance, du danger ou de l’évocation de la destruction. Et le seul moment de tendresse est provoqué par la vision d‘un corps couvert d’ecchymoses.

Les mises en scène d’accidents peuvent aussi évoquer une certaine vision d’un monde médiatique ou artistique froid, mécanique et ayant perdu son âme. Et il est question de reconstitution, de répétition d’un choc qu’on veut revivre. Les personnages sont ils impuissants à créer ? Ils veulent revivre ce qui est arrivé accidentellement. Et l’obsession de Vaughan constitue un mal contagieux : Ballard conduit à nouveau le même véhicule que celui de son accident : même modèle, même couleur. Et poursuit en voiture sa femme comme Vaughan quelque temps auparavant.

Film ayant suscité beaucoup de controverses et de rejet, mais lauréat du prix du jury au Festival de Cannes 1996 et numéro 1 du Top 10 des Cahiers Du Cinéma pour la même année, Crash offre de multiples interprétations possibles. Et constitue une expérience étrange, inclassable, qui rejette tout réalisme psychologique et toute vraisemblance dans l’enchaînement des situations, au profit d’une vision profondément déstabilisante, voire dérangeante de la sexualité et du couple, du voyeurisme et de la déshumanisation d’un monde où les rapports humains ne s’expriment que par la domination et la violence.


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Crash ressort en salle en version restaurée grâce à Carlotta Films