CYRANO
Réputé pour ses talents oratoires, Cyrano, officier de l’armée française, est en revanche incapable d’exprimer son amour à l’élue de son coeur et amie d’enfance, Roxanne. Lorsqu’il apprend qu’elle est amoureuse d’un jeune soldat, Cyrano entreprend de lui faire passer des lettres d’amour à travers lui, de façon souterraine, prétextant vouloir venir en aide au soldat qui est étranger à l’art d’écrire.
Critique du film
Qu’il y a-t-il derrière la tirade du nez ? Erica Schmidt, metteuse en scène de la comédie musicale Cyrano, rejoint à présent le réalisateur Joe Wright pour écrire un scénario tout à fait atypique autour de la pièce de théâtre française la plus représentée dans le monde : Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand. À ceux qui connaissent par cœur la fameuse tirade du nez, toutefois, l’on freine la satisfaction de pouvoir à nouveau la réciter. Car Cyrano ne sera pas cette fois affublé d’une prothèse nasale ainsi que le veut la particularité du personnage. Mais en y regardant de plus près, la scénariste rend compte du sens profond de l’histoire qui, encore aujourd’hui, fait vibrer les foules. Le nez protubérant de Cyrano n’était qu’un prétexte à la dénonciation d’un mal intemporel qui touche l’estime de soi la plus haute, quand il anéantit la plus basse : la comparaison.
D’ordre social, physique, intellectuel, l’observation et le jugement des hommes entre eux présente une arme d’auto-destruction redoutable. “Nous avons tous ce petit quelque chose que nous n’apprécions pas chez nous”. Schmidt décide de le rendre universel en supprimant l’excroissance nasale et choisit, pour incarner le rôle de celui qui se défend des railleries grâce à son irrésistible rhétorique, son propre époux, Peter Dinklage. Faisant ainsi s’effondrer tout l’aspect symbolique de l’histoire de Cyrano, elle incite le spectateur à faire l’analyse de lui-même. Car en vérité, il ne fut jamais question du nez de Cyrano, mais bel et bien des yeux de tous les gens autour.
FARCE MUSICALE
Tâchant de comprendre les raisons ayant poussé Joe Wright à vouloir proposer une adaptation cinématographique du spectacle musical de Cyrano, le journaliste est quelque peu consterné, jusqu’à cette simple réponse du réalisateur : “j’ai été ému par cette histoire”. Emu au point d’en faire, de surcroît, une comédie musicale ! Il est vrai que Joe Wright avait su démontrer par le passé son penchant musical (la danse des squelettes dans le premier Pirates des Caraïbes, ou la mise en scène surréaliste du bal dans Anna Karenine). Las, Cyrano se complaît rapidement dans une atmosphère mielleuse dont les titres chantés manquent cruellement d’originalité, si ce n’est la ballade des soldats écrivant des lettres à leurs proches depuis le front de guerre.
La beauté de la reconstitution baroque de la Sicile ne peut se satisfaire d’une mise en scène chorégraphiée, porteuse des codes du clip vidéo. Que reste-t-il du subtil triangle amoureux entre Roxanne (interprétée par une Haley Bennett pleine de facétie, amoureuse des mots d’esprit plus que de l’allure de ses prétendants), Cyrano et le soldat Christian pour qui il écrit des missives destinées à la jeune femme, si ce n’est le plan aseptisé du trio chantant en face à face dans un effet studio exacerbé par un montage en fondus !
La découverte du personnage de Cyrano au commencement du film, élevée par le jeu brillant de Dinklage, et intéressante par la forme que prenait son éloquence fameuse en un morceau qui se rapporte au slam, genre de poésie moderne où l’on scande les vers, augurait pourtant d’une innovation plaisante. Mais les alexandrins se meurent au profit du grand spectacle, qui ne se limite pas seulement à l’aspect musical.
C’EST UNE FARCE, QUE DIS-JE, C’EST UN VAUDEVILLE !
Concours des anachronismes probablement voulus et n’étant pas sans rappeler le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, le film souffre inévitablement du manque de l’équilibre fragile, célébré par le romantisme de la pièce de Rostand, entre le Beau et le grotesque. Dans cette histoire, l’un ne va pas sans l’autre, et Victor Hugo nuançait parfaitement l’art de manier cet équilibrisme dans sa préface de Cromwell (1827). Ce qu’il manque à Cyrano, c’est Cromwell, c’est le panache de Gérard Depardieu, c’est la verve d’Edmond Rostand. Le comble de l’ironie pour cette adaptation qui se veut axée sur le phénomène d’ostracisme que génère la comparaison, c’est que l’on ne peut s’empêcher de repenser à celle de Jean-Paul Rappeneau, qui touchait au sublime, quand celle-ci frôle le ridicule.
Bande-annonce
30 mars 2022 – De Joe Wright, avec Peter Dinklage, Haley Bennett