DAWSON CITY : LE TEMPS SUSPENDU
À 560 kilomètres au sud du cercle polaire arctique se trouve Dawson City, petite ville canadienne. En 1978, lors de travaux destinés à construire un centre de loisirs, le conducteur d’une pelleteuse fait surgir de terre des centaines de bobines de films miraculeusement conservées.
Critique du film
Chaque semaine apporte son lot de sorties, il y a des mercredis riches et des mercredis moins enthousiasmants et puis il y a, de temps en temps, des petits miracles qui nous parviennent sans tambour ni trompette. Dawson City appartient à cette catégorie.
Vous n’avez peut-être jamais entendu parler de cette bourgade canadienne située à la confluence du Yukon et du Klondike en plein Alaska, vous n’irez probablement jamais et pourtant son histoire vous passionnera, deux heures durant.
C’est un film qui possède le charme capiteux que provoquent les rencontres inespérées.
La glace et le feu
En 1978 donc, ont été retrouvées à Dawson City, des centaines de bobines de films enfouies dans la terre depuis 50 ans. Ces sont ces films, ceux qui ont pu être restaurés, qui alimentent le récit de la ville. C’est un travail de montage ahurissant auquel s’est attelé Bill Morrison, combinant films muets, films d’actualité, images d’archives et photographies historiques. La ville et le cinéma sont nés en même temps, il y a des hasards qui ressemblent à des filons. Morrison entrelace l’histoire du septième art avec celle de la ville, pellicule nitrate et ruée vers l’or. La cité gonfle rapidement jusqu’à recenser 40 000 habitants, puis à la frénésie succède la désillusion, les salles de spectacles poussent alors comme des champignons, il faut bien divertir les foules.
C’est le temps du cinéma muet et des incendies à répétition. On reconstruit sans mot dire. Puis, aussi vite, la ville perd de sa superbe, au contraire du Chief Isaac, chef du peuple Han dont les terres ont été accaparées pour l’exploitation aurifère (il mourra à 85 ans), mais le cinéma continue d’y être présent. En bout de chaîne d’exploitation, les films, après diffusion ne sont par réacheminés. Les banquiers étaient alors les agents des sociétés de distribution. On le sait, il n’y a pas moins scrupuleux qu’un banquier sorti de ses comptes. La plupart des bobines finissent dans les eaux du Yukon, d’autres sont conservées, ou plutôt stockées. Beaucoup d’entre elles finissent comme matériau de remplissage d’un bassin de piscine afin d’aplanir le sol de la patinoire sise au-dessus. C’est là, conservés dans le permafrost du grand nord qu’ils seront (re)découverts en 1978.
Un trésor, d’une richesse abyssale
Le récit en images de cette histoire extraordinaire est complété par notes en incrustation. Pas de voix off pour laisser toute la place à la musique de Alex Somers dont les nappes majestueuses (parfois pesantes) contribuent à établir la légende.
Entre l’archéologue et l’orpailleur, Bill Morrison restitue une mémoire que l’on pensait perdue à jamais. Ces images plus que centenaires, conservées dans la glace pendant un demi-siècle procurent une insondable joie et une vive émotion. Si le film, soucieux de tirer parti de son exceptionnel matériau, étire quelques séquences en longueur, il n’en demeure pas moins un document d’une richesse abyssale.
À Dawson City, il n’était pas rare que les films soient exploités avec trois ou quatre ans de retard. De manière ironique, le documentaire de Bill Morrison nous parvient quatre ans après sa réalisation. Un trésor est dans nos salles.
Bande-annonce
12 août 2020 – Réalisé par Bill Morrison