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DÉSIGNÉ COUPABLE

L’histoire vraie de Mohamedou Ould Slahi, un Mauritanien que son pays a livré aux Etats-Unis alors en pleine paranoïa terroriste à la suite des attentats du 11 septembre 2001. L’homme a passé des années en prison sans inculpation ni jugement. Il a retrouvé la liberté en octobre 2016.

Critique du film

Début 2002, Mohamedou Ould Slahi est envoyé à la prison de Guantánamo, car il est accusé par le gouvernement américain (à tort) d’avoir participé à l’attentat du 11 septembre. Il y est retenu pendant près de quatorze ans, sans jamais passer devant un tribunal. Il livre dans ses mémoires, Les carnets de Guantánamo, le témoignage édifiant des conditions inhumaines de la plus tristement célèbre prison du monde. 

Après une carrière essentiellement tournée vers le documentaire (Marley en 2012 et Whitney en 2018), Kevin MacDonald adapte sur grand écran le récit du prisonnier dans un film de procès au casting luxueux. Dans Désigné Coupable, il télescope deux histoires : celle d’une justice américaine en pleine paranoïa post-11 septembre, et l’autre, plus sensorielle d’une résilience.

Une empathie paradoxale 

Le cinéma américain a longuement ressassé le traumatisme du 11 septembre, cherchant à retrouver, de manière très manichéenne, son héroïsme et sa splendeur face à la menace de l’extérieur (le Moyen-Orient). Or parce qu’il est Désigné Coupable, Mohamedou Ould Slahi (interprété par le très juste Tahar Rahim) trouve au premier abord assez peu de sympathie auprès du public. Il est jeune, mauritanien, et musulman, en plus d’avoir des relations lointaines avec Al-Quaïda : il incarne le suspect idéal.

C’est précisément avec cette ambiguïté que joue Kevin MacDonald. En choisissant de resserrer le cadre, avec une mise en scène particulièrement sensorielle, le réalisateur noue une profonde empathie avec son personnage, avant même d’assurer son innocence. Le geste est fort, car il nous confronte à nos propres jugements, en plus de placer au centre du récit un personnage principal musulman et non-blanc, en parallèle d’une islamophobie grandissante. Au-delà du récit de procès, Désigné Coupable est aussi celui d’une foi inébranlable en l’humanité, grâce à l’Islam, seul guide à travers l’enfer carcéral. 

Désigné coupable

L’enfer américain

Si l’on a pas attendu Désigné Coupable pour découvrir la violence et l’inhumanité de Guantánamo, le film opte pour une certaine radicalité dans un récit pourtant balisé. Au détour d’une scène de révélations, le film bascule dans une longue séquence horrifique. L’agressivité de la musique se heurte à une mise en scène anxiogène et sans temps mort qui s’étire et se répète inlassablement, accumulant une multitude de sévices psychologiques et physiques par l’armée américaine, dont le très tabou viol masculin. Si le parti pris est plutôt malin car il surprend par sa brutalité, la séquence a des airs de train fantôme un poil voyeuriste. 

En parallèle, Désigné Coupable embrasse le récit de procès, ou plutôt de l’absence de procès. Nancy Hollander (Jodie Foster), brillante avocate accompagnée de son associée Teri Duncan (Shailene Woodley) militent pour un habeas corpus, qui énonce la liberté fondamentale de ne pas être emprisonné sans jugement. Leur défense croise le chemin de Stuart Couch (Benedict Cumberbatch), bien déterminé à garder Mohamedou derrière les barreaux pour venger son ancien ami pilote, décédé dans les attentats. 

Pourtant, la quête de vérité laisse entrevoir un propos anti-carcéral, et interroge le regard des Etats-Unis sur sa propre histoire. Derrière ses allures complotistes, le film fait émerger la question de la censure autant que celle de la responsabilité. Celle d’un Etat qui profite d’une zone en dehors de la juridiction américaine, et celle aussi de Nancy Hollander, qui lutte pour les libertés humaines malgré le mépris qu’elle inspire, parce qu’elle défend l’indéfendable. 

Kevin MacDonald n’invente rien avec son film de procès, bien qu’il parvienne à s’extirper des lieux communs du genre. Mais c’est parce qu’il interroge l’humanité toute entière, à travers son étonnant personnage principal, parfois drôle et toujours touchant, qu’il transforme Désigné Coupable en un manifeste pour les libertés fondamentales, particulièrement d’actualité.

Bande-Annonce

14 juillet 2021 – De Kevin MacDonald, avec Tahar Rahim, Jodie Foster et Shailene Woodley