DÉSIR
Deux ramoneurs, tous deux mariés, hétérosexuels et engagés dans une vie de couple monogame, voient leurs repères vaciller face à des expériences qui ébranlent leurs certitudes sur le genre et la sexualité. L’un se confie sur le rapport sexuel qu’il a récemment eu avec un autre homme, sans pour autant y voir une remise en question de son orientation ou de sa fidélité. L’autre, troublé par des rêves récurrents dans lesquels il se voit en femme, s’interroge sur la construction de son identité. Est-il façonné par le regard des autres ? A-t-il enfoui des parts de lui-même sous les injonctions sociales ? Ces deux parcours parallèles ouvrent un espace intime et déroutant où l’individu se confronte aux limites imposées – ou intériorisées – de ce qu’il croit être.
Critique du film
Rebaptisé Désir pour son exploitation française, Sex, premier volet de la trilogie d’Oslo (Sex, Dreams, Love) du norvégien Dag Johan Haugerud, marque l’émergence d’un cinéaste au talent éblouissant, capable de capter avec autant de vérité ce moment fragile où la parole vacille, où le désir devient question, et où les certitudes affectives s’effritent doucement sous le poids de ce qu’on croyait savoir de soi, de l’autre, du couple et de son rapport au monde.
Comme dans le reste de la trilogie (dont le 2e volet a obtenu l’Ours d’or à la Berlinale), la grande force de Désir (Sex) se niche dans son écriture. Très soignés et accompagnant le cheminement introspectif des personnages, les dialogues impressionnent par leur si rare intelligence, à la fois précis et ouverts, tendus et profondément humains. Chaque mot semble pesé, entre la théorie et le concret. C’est dans cette quête de sens que surgit toute la beauté du film, celle d’individus qui cherchent à se dire, à se comprendre, à mieux se définir (ou à s’accepter) pour s’aimer autrement.
À travers des conversations intimes — souvent déroutantes, parfois drôles, toujours engageantes — Dag Johan Haugerud explore des terrains brûlants : les identités mouvantes, le genre comme construction et comme ressenti, les zones grises du désir, la sexualité comme langage à réinventer. Jamais le long-métrage ne cherche à être démonstratif. Quand d’autres oeuvres pourraient plaquer un point de vue et chercher à l’imposer, Désir s’inscrit dans un mouvement plus souple, curieux, qui laisse le spectateur cheminer avec les personnages, sans jamais lui mâcher les réponses.
Le couple, lui, devient ici une structure mouvante, instable, que ce premier volet semble inviter à redéfinir entièrement. Habilement, le film interroge ce qu’on attend de l’autre, ce qu’on accepte de son/sa partenaire, ce qu’on exige de soi au nom de l’amour : liberté, fidélité, transformation, vérité nue. Comment vivre à deux sans se renier ? Comment désirer sans blesser ? Où commence la trahison et à quoi tient la confiance ? Désir (Sex) pose toutes ces questions sans jamais les figer, offrant un regard rare sur l’intimité comme espace social, mais aussi comme terrain d’utopie douce – et peut-être illusoire.
Au-delà de la radicalité feutrée de sa forme, à la fois très dialoguée et contemplative, Désir (Sex) s’impose comme un des plus beaux et des plus subtils essais contemporains sur l’amour, l’identité de genre et, en creux, dessine une évocation éclairante de la non-binarité. Une œuvre précieuse, qui rappelle que parfois, les plus grandes révolutions naissent de l’inattendu, d’une rencontre ou d’une conversation.
Bande-annonce
16 juillet 2025 – De Dag Johan Haugerud