DIAMANT BRUT
Critique du film
Les premiers films sont rares en compétition officielle à Cannes – au moins autant que les films de réalisatrices. Diamant brut d’Agathe Riedinger cumule ces deux attributs, prolongeant le geste de son court-métrage traitant déjà de l’attrait de toute une génération pour le clinquant de la télé réalité et du monde de l’influence sur les réseaux sociaux. Le programme du film est simple : la caméra est focalisée sur Liane, jeune femme tout juste adulte, dont l’obsession est de vivre de cet amour que prodigue le sentiment d’être regardée et adulée, par le biais d’un réseau social, pour sa plastique, un idéal provoqué par tous les moyens. C’est un portrait de femme, une trajectoire qui traverse l’univers des foyers, du manque d’amour familial, et d’une rage intense qui se manifeste par tous les moyens à disposition.
La force du film est comprise dans les quelques scènes où le masque tombe, un apparat savamment construit face au spectateur qui, l’espace d’un instant, s’évapore pour dévoiler une personne fragile, en réaction contre le regard des autres. Cette altérité, elle la maintient à distance, dans une défiance presque absolue, créant un paradoxe étonnant, celle d’une hypersexualisation brandie comme une marque, le mot étant de chaque instant, cohabitant avec la virginité du personnage principal. Il n’est pas question pour elle de dépendre des hommes, de leur devoir quelque chose, de s’en remettre à eux pour quoi que ce soit concernant son futur. C’est dans cet entre-deux troublant que se trouvent à la fois le cœur du film mais aussi ses limites.
La grande majorité du film s’inscrit dans cette construction de la carapace de Liane, dans sa préparation et amélioration constante de ce qu’elle considère comme un outil de travail, son corps. Si ce chemin est intéressant dans ses prémisses, il en devient vite lassant, usant le regard par une répétition qui ne s’appuie pas suffisamment sur des ruptures de ton comme celles précédemment décrites, où elle peut baisser les armes et désarmer une ire toujours plus prégnante. La quête du graal, être embauchée pour être une des nouvelles stars d’une émission célèbre de télé-réalité, devient ainsi usante, trainant en longueur et transformant le film en une lente descente aux enfers où Liane perd peu à peu tout contrôle sur ses émotions.
On peut aussi regretter certaines facilités de mise en scène, comme ces lettres qui envahissent l’écran, représentant les louanges ou attaques virulentes reçues sur Instagram par Liane. Cette utilisation des réseaux sociaux pour figurer le malaise qu’elle subit graduellement ne fonctionne pas véritablement, peinant à traduire l’intensité dramatique qu’elle aimerait pouvoir créer. Malgré cela, le film réussit à surnager au dessus de ces quelques ratés, grâce à la qualité de la direction d’acteurs, et un duo très convaincant formé par Malou Khebizi et Idir Azougli. Les scènes qu’ils partagent, dans une communion de leurs souffrances, sont les plus réussies de Diamant brut. Il n’est plus question de se défendre du monde, il est enfin possible d’être soi et de se laisser être face à l’autre et de compter sur lui l’espace de quelques minutes.
Diamant brut demeure une énigme, ne se livrant jamais totalement, laissant à quai autant qu’il peut toucher, charmant mais aussi rempli de promesses non tenues. Il reste malgré tout difficile de ne pas retenir le désespoir qui ourle ce portrait, la solitude d’une jeune femme laissée pour compte qui veut briller fort pour effacer les ombres de sa propre enfance. En cela, le film est une promesse, celle des films à venir d’une cinéaste, Agathe Riedinger, qui a tout pour nous surprendre à l’avenir.
Bande-annonce
20 novembre 2024 – D’Agathe Riedinger, avec Malou Khebizi, Idir Azougli et Andréa Bescond.