DIDI
En 2008, un mois avant le début du lycée, un jeune américain taïwanais de 13 ans, très impressionnable, apprend ce que sa famille ne peut pas lui enseigner : comment patiner, comment flirter et comment aimer sa mère.
Critique du film
Le teen-movie est une spécialité nord-américaine qui a surtout exploré dans son histoire les communautés « wasp » aisées, sans véritablement tenir compte de la diversité inhérente à la culture étasunienne. Un film comme Didi de Sean Wang démontre l’évolution des mentalités et l’ouverture de la culture populaire cinématographique au-delà des frontières des communautés fermées décrites, notamment, dans les années 1980. Le protagoniste de ce film a 15 ans, est d’origine taïwanaise, et tous ses amis proches sont membres d’une communauté asiatique, que ce soit coréenne, philippines ou tamoul. Si Chris, surnommé « Wang wang », parle anglais dans son quotidien, tout comme sa grande sœur Vivian, la langue des aînés, que ce soit leur mère ou leur grand-mère, est le mandarin.
Le théâtre de cette histoire recouvre donc une réalité bien différente de celle que le spectateur occidental a l’habitude de voir et il est de bonne augure que des films comme Didi, ou avant lui Past Lives de Celine Song, parle de ces américains d’origine asiatique absents du grand écran pendant des décennies. Didi est un film solaire, que ce soit parce qu’il se déroule l’été, en 2008, et qu’il marque beaucoup de premières fois pour Chris. Sean Wang réalise un film presque autobiographique, qu’il situe à l’époque même de son adolescence, pour être au plus près de son vécu et d’une certaine authenticité dans l’écriture du film. Premier amour, entrée à venir au lycée, départ de la sœur aînée à l’université, c’est une identité en construction qui se trouve bouleversée sous nos yeux.
La génération de Chris est aussi la première à gérer ses relations sociales via internet et ses réseaux balbutiants, la communication via ces canaux et ses codes émergeants faisant considérablement évoluer la gestion des amitiés. Myspace, les messageries instantanées, ce sont autant de nouveaux moyens de se mettre en relation qui sont à disposition de cette jeunesse et aussi de nouvelles difficultés à surmonter. Le film est très bien construit en ce sens : on ressent les obstacles sur la route de Chris, qui sont autant physiques que virtuels, les erreurs commises par l’adolescent se déployant dans tous les champs possibles. La recherche d’identité, qui s’opère pendant cet été si particulier qui précède l’entrée au lycée, est amenée avec beaucoup de finesse par l’auteur, notamment sur l’angle familial de son scénario.
Ce dernier point n’est pas des moindres. Effectivement, Sean Wang raconte en quelques scènes toute la difficulté d’exister pour chacune des générations de cette famille. Les problèmes des enfants sont assez évidents, mais l’éclatement familial est lui plus surprenant. Le père de famille est en effet absent, resté à Taïwan pour des raisons professionnelles, pourvoyant financièrement à leurs besoins, mais sans être jamais là pour s’occuper des siens en personne. La mère est elle extrêmement touchante dans son explication de ses rêves de devenir une artiste anéantis par ses maternités et sa dévotion à ses enfants. Enfin, l’aigreur de la grand-mère, conservatrice et traditionnelle, se dirige tout entière vers sa belle-fille, dans une agressivité qui est le point commun à chaque génération, comme un témoin de tous les dysfonctionnements cachés qui finissent par réapparaître dans toute leur force destructrice.
Didi est en cela une fausse comédie, car s’il se montre parfois très drôle, il cache en son sein une noirceur et une dépression profonde qui menace toute cette famille assez caractéristique de l’immigration récente en provenance d’Extrême-Orient. L’orgueil et le besoin de validation par la réussite sociale sont le sommet de cette pyramide de l’angoisse qui s’exprime avec éloquence par la voix du metteur en scène. Malgré tout, il arrive également à distiller beaucoup de tendresse à ses personnages qui, par des rappels d’affection et d’amour, permettent au film d’avoir de nombreuses couleurs, et une profondeur surprenante pour une histoire au premier abord très légère.
Didi a reçu le prix des étudiants de l’IUT de La Roche-sur-Yon pendant le festival international de cette même ville, ainsi que le prix des collégiens. La justesse du propos n’a pas trompé les principaux intéressés qui ont massivement plébiscités ce très beau film.
De Sean Wang, avec Izaac Wang, Joan Chen, Shirley Chen.