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DIMANCHES

Un couple de paysans âgés vit paisiblement dans un petit village de la campagne ouzbek où il travaille la laine. Peu à peu, leur existence se voit bouleversée par les sollicitations de ses deux fils, qui insistent pour faire pénétrer la technologie chez eux malgré leurs réticences – et avec une idée derrière la tête : démolir la vieille maison qu’ils habitent pour en construire une nouvelle, afin que le plus jeune fils, ayant réussi à l’étranger, puisse en faire sa résidence secondaire…

Critique du film

Une grande cour de ferme sert du décor principal à ce portrait anachronique d’un vieux couple de paysans ouzbeks. Au milieu de cette cour, trône une estrade couverte de tapis et de couvertures. C’est là que le couple se repose le soir, installé devant un poste de télévision sans âge. Quand le vieil homme souhaite changer de chaîne, il fait signe à son épouse. Elle se lève, appuie sur le bouton et attend confirmation que le programme convient. Tout cela se fait sans parole, chanson de geste usée par l’habitude. Quand le vieil homme s’est endormi, elle se lève, monte le son et rentre se coucher. Le grésillement nocturne de l’appareil servira de bruit de fond aux rêves du paysan.

Radeau à la dérive

Cette estrade, c’est le radeau sur lequel le vieux couple dérive lentement mais sûrement vers sa fin de vie. On perçoit une relation asymétrique, issue d’une culture patriarcale bien ancrée. Il la tutoie et la rudoie (« il n’y a rien de vieux dans cette maison, à part toi »), elle le vouvoie mais sait le tutoyer à l’occasion (« n’essaie même pas » tempête t-elle un soir qu’il aurait l’humeur câline). L’amour entre ces deux-là a perdu son vocabulaire depuis longtemps, il se glisse pourtant dans les silences et les sourires. Les gestes sont plus lents, les pauses plus longues, mais ils n’ont rien changé de leurs habitudes et continuent d’élever des brebis et de travailler la laine : tonte, teinture, tissage.

Shokir Kholikov filme ce couple avec un respect infini, il capte avec une grande délicatesse leurs gestes ancestraux et quotidiens, éclaire avec douceur leurs visages burinés et sévères. Au sommet de ce portrait, culmine une séquence. Filmés à ras du sol, ils retirent leurs bottes et se mettent à fouler aux pieds un mélange de terre, d’eau et de paille. La caméra remonte le long de leurs silhouettes alors qu’ils se tiennent par les bras pour se tenir en équilibre. Leur pantomime d’ouvriers du bâtiment (le résultat constituera l’argile nécessaire à la reprise d’un mur) se transforme en merveilleuse petite danse, d’autant plus émouvante qu’elle symbolise autant leur dépendance réciproque que leur ardeur commune.

Dimanches

Brandt rhapsodie

Le film ne pourrait être que cela, la vie de ce couple qui semble avoir mille ans, immarcescible dans sa bulle et hors du monde. Mais ils ont deux fils, un leur rend visite une fois par semaine, il vient prendre des nouvelles et sa ration de lait, l’autre vit à l’étranger et téléphone de temps à autre. Un sujet polémique tend immanquablement la conversation : il faudrait raser la maison pour construire une nouvelle à la place. Ce serait une sorte de préalable exigé par le fils exilé pour qu’il consente à revenir se marier au pays. En attendant de trouver un accord, les enfants se piquent de moderniser le foyer des parents. L’un paye, sans doute, et l’autre livre. C’est d’abord une cuisinière, puis un téléviseur, un réfrigérateur et enfin un smartphone qui viennent bousculer l’ordinaire des choses. Chaque nouveauté est l’occasion d’une hébétude répétée et de contrariétés accumulées. Le vieil homme se fait roussir la barbe par la cuisinière et n’a plus sa vieille télé pour compagne de nuit. La grand-mère finit par maîtriser l’usage de la télécommande mais continue d’obéir à la main de son époux.

Il faut que tout change pour que rien ne change. À la longue, le scenario finit par feuilletonner une dramaturgie qui certes occasionne un comique de répétition mais semble aussi bégayer voire s’épuiser. On a longtemps pris fait et cause pour ce couple de personnes âgées mais on serait quand même curieux d’entendre le point de vue défendu par les enfants. Après tout, le père n’a pas dû être toujours commode et cette générosité bien maladroite dont ils font preuve est peut-être le signe d’une impuissance à dire leur affection et leur inquiétude. Faute d’amour, apportons du confort.

Les semaines passent, l’humeur s’assombrit et un soir d’orage, le vieil homme s’écroule. Incapable de faire fonctionner son nouveau téléphone, la vieille dame part chercher du secours sous la pluie. Moment de bascule vers l’inéluctable et la confusion. Tout est devenu trop compliqué, y compris acheter des médicaments. Celui des deux qui restera aura tout perdu. Le film se termine sur le motif de l’allumette, scandé tout au long d’un film dont aura davantage goûté les secrets que les symboles.

Bande-annonce