DOMICILE CONJUGAL
Antoine Doinel épouse Christine et s’engage dans des métiers peu intéressants. Il s’embourgeoise tandis que naît son premier enfant. Hélas, la bonne entente du couple est gâchée par la liaison qu’entame Antoine avec une Japonaise. Christine le quitte. Il tente de la reconquérir une fois lassé de sa peu bavarde Nipponne.
Dans la vie comme au travail, au travail comme en amour
Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) et Christine (Claude Jade) sont désormais mariés. Domicile Conjugal est le deuxième film dans lequel François Truffaut observe leur couple, le quatrième où il suit Antoine Doinel. Le thème principal reste la relation entre les deux amants mais en sous-texte, on voit aussi Antoine rester le petit garçon des Quatre Cents Coups. Il ne tient pas en place, sa dynamique reste l’évasion.
Fleuriste-chimiste au début du film, Antoine veut absolument peindre d’un rouge passion un bouquet de fleurs. Sans succès. Il devient ensuite… pilote de bateaux télécommandés pour une grande firme américaine, comme s’il avait une part d’enfance à rattraper. Ou qu’il refusait d’être sérieux rien qu’une fois dans sa vie.
Antoine fait des choix contestables ; l’argent lui brûle les doigts. Ce que n’a pas manqué de relever un copain taxeur, qu’Antoine croise un peu trop souvent dans la rue pour qu’il n’ait pas compris la combine.
Jean-Pierre Léaud et Claude Jade semblent incarner un couple idéal, dans un immeuble idéal. Les voisins, sans doute débauchés dans un film de Duvivier, ont tous un mot à dire sur la relation du jeune couple. Et leur existence propre : une jeune femme est déterminée à séduire Antoine, un retraité qui ne sortira de son appartement « que lorsque Pétain sera enterré à Verdun ». Un chanteur d’opéra lassé d’attendre sa femme jette son manteau dans l’escalier. Ici, Truffaut cite Amarcord mais multiplie les références.
La cour de l’immeuble, épicentre du long-métrage, n’est pas sans rappeler celle du Crime de monsieur Lange de Jean Renoir. Un peu plus loin, Antoine téléphone à un certain Jean pour lui annoncer qu’il est papa. S’ensuit un « Bonjour madame Eustache, votre fils est là ? » évocateur. Quand ce n’est pas directement Monsieur Hulot, enfin, qui apparaît sur un quai de métro. Truffaut cite indirectement Tati en filmant Antoine évoluer gauchement dans une entreprise. Et filme avec humour la maladresse de son personnage principal.
Scènes de la vie conjugale
Le couple formé par Antoine et Christine est tout sauf complémentaire. Antoine ne veut surtout pas prendre de décision, Christine veut que tout soit clair. Leur bébé change de nom selon qu’il se trouve dans les bras de son père (Alphonse) ou de sa mère (Ghislain).« Je ne suis pas comme toi, j’aime pas ce qui est flou. Je n’aime pas ce qui est équivoque, je n’aime pas ce qui est ambigu. J’aime ce qui est net ! »
Avec cette idée de mise en scène d’isoler les personnages dans le cadre dès qu’ils oublient ou refusent de penser à l’autre. Christine quand elle renvoie Antoine après la naissance de leur enfant, Antoine quand il décide de le nommer comme il l’entend. Leur appartement, lui aussi, semble déterminé à les séparer dans son architecture.
Domicile Conjugal est un film sur la difficulté à communiquer. Dès les premiers instants du film, les coups de téléphone se multiplient sans toujours trouver un interlocuteur. Antoine et Christine n’en ont pas chez eux : l’un des segments du film consiste à chercher comment l’obtenir via un sénateur ami.
Antoine « dialogue » avec son patron américain comme un enfant qui lirait des phrases issues de son cours d’anglais. Avec Kyoko, son amante japonaise, tout échange est définitivement impossible. La conversation la plus profonde sur sa désertion du domicile conjugal du titre, Antoine l’a avec son beau père, « entre hommes ».
Antoine et Christine ne sont pas loin de se parler, parfois. Lorsque Antoine rentre à la maison, Christine l’accueille déguisée en geisha. « Je sais tout de ton histoire avec la fille japonaise » lance-t-elle, au bord des larmes. La discussion ne va pas beaucoup plus loin : Antoine ne sait pas entendre sa femme. Il ne rentre définitivement que lorsque Kyoko le quitte. Le couple se rabiboche on ne sait trop comment.
Film charnière par définition, Domicile Conjugal existe dans l’histoire du couple entre Baisers volés (l’idylle) et L’Amour en fuite (le bilan). Truffaut commence à s’interroger sur le point de chute de son personnage phare. On y parle sans doute beaucoup plus d’Antoine que de Christine, mais le long-métrage marque un changement de regard du réalisateur sur son alter ego. Et peut-être un début de différenciation.